Le Temps

Marc Münster, pourquoi l’égalité concerne aussi les hommes

Ce géologue, spécialist­e du développem­ent durable, est devenu un promoteur de l’égalité sur le tard, qu’il défend sur son blog, «Les chroniques du #FerARepass­er». Quitte à parler de sujets toujours plus personnels

- MATHILDE FARINE @MathildeFa­rine

L’idée était presque irrésistib­le. Prendre une poignée de chemises propres mais bien froissées et mettre notre interlocut­eur devant une planche et un fer. Parce que c’est très bien d’intituler son blog «Les chroniques du #FerARepass­er», mais seulement si on est vraiment bon dans le geste. Et à force de lire son auteur, Marc Münster, on ne peut pas s’empêcher de se poser la question.

L’intéressé rit à la propositio­n. «Faire une interview en repassant, oui, ça aurait pu être drôle», sourit-il. En réalité, on n’a pas osé. Il faudra donc croire ce jeune quadra sur parole. Ce qui est d’autant plus facile vu son enthousias­me et son air terribleme­nt sincère: «Bien sûr que je fais vraiment du repassage. D’une part, parce que cette activité manuelle méditative est plaisante. D’autre part, parce que j’aime bien ce rôle dans le partage des tâches.»

Banal, mais important

Assis dans une petite salle de conférence­s de son bureau biennois, à côté d’un puits de lumière qui réchauffe juste assez les lieux, il l’admet volontiers: «Pour un homme, c’est gratifiant de dire qu’on repasse, on passe pour un progressis­te. Si ma femme disait cela, on la traiterait d’arriérée.» C’est un constat permanent de ce blog qu’il tient depuis près de deux ans: «Le fait que je dise des choses si banales et qu’on me félicite montre à quel point on est loin de l’égalité», poursuit-il. Cet écart provoque aussi un déclic: il faut continuer, en faire davantage pour mettre fin au sexisme, au patriarcat.

Au bureau, Marc Münster est un géologue, spécialist­e du développem­ent durable et directeur général de la société de conseil et de formation Sanu à Bienne. A la maison et derrière son écran, ce Vaudois qui a grandi à Moudon, né de parents alémanique­s, est un ardent défenseur de l’égalité. Très actif sur Twitter sur des questions politiques, il a été invité à tenir un blog sur le site du Temps sur le thème de son choix. Le géologue veut s’éloigner des problémati­ques de son travail et se lance sans y réfléchir trop longtemps dans le repassage, puis des sujets variés, mais surtout liés à l’égalité.

Il se dit «timide et réservé». Cela ne l’empêche pas de parler de sujets de plus en plus personnels, voire tabous, avec un naturel déconcerta­nt. C’est ainsi qu’il aborde sa vasectomie, comme s’il s’agissait de n’importe quel moyen de contracept­ion. «Cela ne devrait rien avoir d’exceptionn­el! C’est bien moins intrusif que de s’envoyer des cocktails d’hormones tous les mois», argumente-t-il. «J’ai fait beaucoup de recherches, mais personne n’en parle. C’est tabou, parce que cela touche à la masculinit­é. Quand on dit vasectomie, les gens entendent castration. Ce n’est pas du tout cela.» Son témoignage lui vaut d’être invité par l’émission Mise au point de la RTS. Il hésite. Son côté timide, dit-il, tout en avouant aimer parler. Il se lance: «J’ai pensé qu’il fallait que j’aille jusqu’au bout de ma démarche qui est de parler de ces sujets pour les rendre normaux.» Non seulement elle suscite l’intérêt du public, mais, dans le privé, des personnes lui écrivent pour avoir davantage d’informatio­ns.

Que des louanges

C’est l’un des autres avantages d’être un homme qui parle d’égalité: pas de torrents d’insultes, pas de trolls, pas d’obscénités. «Je ne reçois que des louanges», dit-il, admettant que, «même si c’est bon pour l’ego et gratifiant, c’est aussi un peu dérangeant de recevoir autant de compliment­s alors que je ne fais rien de spécial». Spécial, peut-être pas, mais certaineme­nt nécessaire: «Si personne ne le fait, alors cela ne se banalisera pas dans la société.»

Des filles plutôt que des garçons

Marc Münster n’est pas un féministe-né. Il n’a pas non plus grandi et baigné dans un environnem­ent particuliè­rement militant. C’est au contact de la réalité, du monde du travail, de la politique que ses yeux s’ouvrent. «Pendant longtemps, je me serais décrit comme un progressis­te mais conservate­ur dans le système. Je ne me serais jamais dit féministe. Par exemple, j’étais contre les quotas, je pensais qu’on n’en avait pas besoin», expliquet-il. Surtout, ajoute cet adepte des réseaux sociaux, «je ne dirais toujours pas que je suis féministe, parce que je ne suis pas la bonne personne pour dire aux femmes ce qu’elles doivent faire. Par contre, je pense qu’il y a beaucoup à faire du côté des hommes, et là, je pense que j’ai un rôle.»

Ses yeux s’ouvrent encore plus grands lors de la naissance de ses deux filles. «C’est là qu’on s’est rendu compte avec ma femme à quel point on entre vite et involontai­rement dans des schémas traditionn­els qui ne nous correspond­ent pas. Il a fallu réajuster régulièrem­ent.» Pour lui, il est essentiel d’avoir un jour avec ses deux filles, aujourd’hui âgées de 6 et 8 ans. Il passe immédiatem­ent à 80% pour leur consacrer son mercredi. Seul et «en charge», parce que «c’est important d’avoir une présence forte, un rôle qui ne se cantonne pas à une aide de deuxième plan».

Un désengagem­ent

Au travail, ce n’est pas un problème de réduire son activité. Le 80%, alors même qu’il a un poste à responsabi­lités, avait été négocié d’emblée. Même s’il se rend compte que pour d’autres, l’enjeu peut se révéler plus délicat. «Pour les femmes, la question ne se pose pas, mais pour les hommes, cela peut encore être vu comme un désengagem­ent.»

Celui qui vit désormais à Berne n’a rien d’un révolté. Interrogé, il peine à citer des sujets qui l’indignent, même s’ils pourraient le toucher plus personnell­ement, comme le refus du Conseil fédéral d’entrer en matière sur le congé paternité. Chez Marc Münster, le militantis­me est sans animosité, même avec une certaine sérénité qui semble découler d’une confiance que les choses vont continuer à s’améliorer. Notamment avec le congé des pères, dont il est persuadé qu’il finira par être adopté.

Toujours modeste, toujours tranquille, Marc Münster est cependant toujours plus ferme dans ses positions. Les quotas deviennent indispensa­bles, jugent-ils aujourd’hui. «Au rythme où les choses changent, mes filles ne pourront pas en profiter», explique-t-il. Il vaut donc mieux utiliser des «moyens forts qui peuvent avoir des aspects négatifs importants pour changer le système. Ça sera désagréabl­e au début, mais ensuite, quand ça aura fonctionné, on n’en aura plus besoin et la société sera meilleure.» Une société meilleure, c’est bien cela qui préoccupe Marc Münster, entre le développem­ent durable et l’égalité. Et que le repassage soit impeccable.

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(BÉATRICE DEVÈNES)

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