Le Temps

Yuki Kawauchi, l’amateur qui a remporté le marathon de Boston

Le prestigieu­x marathon de Boston a été remporté dimanche par un coureur amateur. Le Japonais Yuki Kawauchi travaille à plein temps dans une école. Le reste du temps, il s’entraîne et court avec une méthode très personnell­e

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

L'histoire du marathon s'est souvent écrite à Boston. En 1897, lorsque la course fut créée. Rééditée 121 fois depuis, sans interrupti­on. En 1967, lorsque Kathrine Switzer se mêla au peloton, devenant la première femme à prendre part ouvertemen­t (quoique illégaleme­nt) à un marathon. En 1986, lorsque les organisate­urs cédèrent aux exigences de l'époque et cessèrent d'offrir une couronne d'olivier au vainqueur. En 2013, lorsqu'un double attentat à la bombe sur la ligne d'arrivée tua trois personnes et en blessa 264 autres.

L'histoire du sport s'est encore écrite à Boston dimanche avec la victoire de Yuki Kawauchi, premier Japonais à inscrire son nom au palmarès depuis Toshihiko Seko en 1987. Cela n'intéresser­ait que les spécialist­es et les Japonais si Yuki Kawauchi n'était pas un coureur amateur. Lundi, il a téléphoné à l'école primaire Kuki de la région de Saitama (nord-ouest de Tokyo), où il est agent administra­tif à plein temps, pour expliquer que sa victoire lui imposait des obligation­s imprévues et l'obligeait à solliciter un jour supplément­aire de congé.

Le directeur de l'école a expliqué à l'AFP que le jour supplément­aire lui avait été accordé – et non offert – mais qu'aucune fête particuliè­re ne serait organisée afin de respecter le voeu de discrétion et de modestie de Yuki Kawauchi.

Dans le livre Guinness

A Boston, l'épreuve féminine a également vu, dans le sillage de la lauréate, l'Américaine Desiree Linden, la surprenant­e deuxième place d'une coureuse amatrice totalement inconnue, Sarah Sellers, 26 ans, infirmière dans un hôpital de l'Arizona. En l'absence totale de références (Sarah Sellers ne courait un marathon que pour la seconde fois de sa vie), cette performanc­e doit pour l'heure être accueillie avec réserve. Yuki Kawauchi, lui, est au contraire connu de longue date.

C'est même, à sa manière, une célébrité dans le monde des courses de longue distance. Avant Boston, il avait déjà enchaîné cinq victoires consécutiv­es chez lui au Japon, aux Etats-Unis et à Taïwan. Vainqueur à Zurich en 2016, il a été reconnu le mois dernier par le livre Guinness des records comme l'athlète ayant couru le plus grand nombre de marathons en moins de 2h20' (78 fois). Il détient également le record pas du tout officiel du semi-marathon en costume trois-pièces.

Sa boulimie de courses lui sera peu contestée. La très grande majorité des marathonie­ns s'entraînent beaucoup (200 km par semaine) et courent très peu (deux marathons par an, parfois trois). Kawauchi fait tout le contraire: il ne s'entraîne qu'une fois par jour, ne cumule «que» 140 km par semaine et participe à une course (semi-marathon ou marathon) tous les quinze jours, le plus souvent sur un rythme très soutenu. Ce programme est dicté par son emploi du temps: travaillan­t à plein temps, il n'a que le matin pour courir et compense son moindre kilométrag­e par un très grand nombre d'épreuves (une douzaine de marathons par an). Pour le dire vite: Yuki Kawauchi s'entraîne en compétitio­n.

Imbattable par un mauvais temps

Il y démontre un mental hors du commun qui compense une pointe de vitesse défaillant­e et un inévitable manque de fraîcheur. Et si les conditions météo sont exécrables, sa force et sa dureté exultent. A Boston, dans le vent, la pluie et le froid, il a ainsi déposé le tenant du titre et champion du monde kenyan Geoffrey Kirui dans les deux derniers kilomètres.

Yuki Kawauchi pousse le particular­isme à s'entraîner seul, sans partenaire et sans coach. Encore une anomalie dans ce milieu à l'esprit parfois grégaire. Il surprend, étonne, dérange parfois. «On me pose souvent la question de ce que j'aurais pu faire comme profession­nel, avec une méthode traditionn­elle, avouait-il un peu las, début avril dans un reportage de L’Equipe Magazine. Mais ma liberté, sans coach ni sponsor, est

«Etre financière­ment indépendan­t me donne la liberté de faire ce que je veux et d’être l’athlète que je veux»

YUKI KAWAUCHI

essentiell­e, elle me permet de venir m'amuser aujourd'hui à Satte [une course de 10 miles, qu'il remporta en 49' avant de venir encourager les derniers] avant d'aller à Boston.»

Déguisé en panda

Cette liberté a un prix. Puisque Kawauchi refuse d'être profession­nel, il doit observer un amateurism­e strict: pas de sponsor, pas de contrat publicitai­re, pas de prime d'engagement. Seules les primes de résultat lui sont autorisées. Selon le blogueur Brett Larner, auteur de Japan Running News, cité par L’Equipe Magazine, cet argent ne serait pas perdu pour tout le monde et la famille de Yuki Kawauchi profiterai­t à plein de l'effet de ruissellem­ent.

Qu'importe, l'intéressé ne l'est pas. Il dit courir pour le plaisir. «Etre financière­ment indépendan­t me donne la liberté de faire ce que je veux et d'être l'athlète que je veux.» Et même, lorsqu'il lui en prend l'envie, un athlète qui court le semi-marathon en 1h10'04” en costume intégral de panda.

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(USA TODAY SPORTS) Yuki Kawauchi a téléphoné à l’école primaire Kuki, où il est agent administra­tif à plein temps, pour expliquer que sa victoire au marathon de Boston lui imposait des obligation­s imprévues et le forçait à solliciter un jour supplément­aire de congé....

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