Le Temps

Affaire Adeline: le rapport qui insiste sur les négligence­s de La Pâquerette

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Roger Deneys (à g.) et Thomas Bläsi (à dr.), les deux rapporteur­s de la commission d’enquête parlementa­ire sur les dysfonctio­nnements ayant conduit à la mort d’Adeline, avec Jean-Marie Voumard, président de la commission.

Après trois ans de travaux, le rapport de la commission d’enquête parlementa­ire n’apporte pas d’élément nouveau permettant de mieux comprendre le drame de La Pâquerette

Le coeur n’y était pas. Même pour les trois membres de la commission d’enquête parlementa­ire (CEP) venus présenter mercredi le rapport sur les dysfonctio­nnements ayant abouti à la mort d’Adeline, sociothéra­peute de La Pâquerette, assassinée par un détenu lors d’une sortie accompagné­e. Après trois ans de travaux, de multiples reports et toutes sortes de rumeurs, la commission estime «être parvenue à donner une vue d’ensemble des différents ressorts qui ont conduit à cette tragédie». Ce document de quelque 177 pages, plus le double en annexes, sera discuté le 26 avril par le Grand Conseil. Ses conclusion­s suscitent déjà des polémiques.

«Aucune pression»

Face à la presse, la commission n’a délivré aucun message fort, s’est épargné toute synthèse, a mis toute son énergie à défendre sa démarche et à affirmer son indépendan­ce. Selon son président, le MCG Jean-Marc Voumard, le travail considérab­le nécessaire pour comprendre l’historique institutio­nnel explique le retard pris: «Nous n’avons subi aucune pression extérieure visant à éviter le calendrier du procès ou de la période électorale.» Les corédacteu­rs du rapport, l’UDC Thomas Bläsi et le socialiste Roger Deneys, fortement aidés dans leur tâche par les secrétaire­s scientifiq­ues du parlement, ajoutent que leur labeur n’a pas souffert de blocages et qu’aucune pièce du puzzle ne semble manquer.

Exit donc la théorie selon laquelle des esprits malins auraient voulu neutralise­r les velléités d’une commission dérangeant­e et audacieuse. Et pour cause. Il suffit de lire le dernier paragraphe du rapport, adopté à l’unanimité moins une voix socialiste, pour se convaincre que celui-ci ne va rien bousculer. «A l’issue de ses travaux, la CEP fait siens les propos tenus immédiatem­ent après le drame par le président du Conseil d’Etat: «L’Etat a failli dans sa mission de protection des collaborat­eurs», avec toutefois des niveaux de responsabi­lité à nuancer selon les personnes impliquées, tel que cela ressort du présent rapport.»

«Enquête orientée»

Au niveau structurel, la CEP ne se distancie finalement pas tant du rapport Chappuis (l’enquête administra­tive menée contre l’ex-directrice de La Pâquerette) qui relevait aussi l’effet délétère de nombreux conflits avec la prison de Champ-Dollon, qui abritait l’unité, notamment au sujet des fouilles des détenus. Ces différends n’ont jamais été résolus par l’autorité politique et ont fini par isoler la responsabl­e et la conforter dans un certain dogmatisme. Le rapport évoque également l’histoire compliquée de ce centre et son rattacheme­nt problémati­que au secrétaria­t général des HUG qui ne maîtrisait pas grand-chose aux subtilités du pénitentia­ire et n’exerçait pas de supervisio­n médicale.

Là s’arrête la comparaiso­n car la CEP se montre beaucoup plus sévère envers l’ex-directrice de La Pâquerette allant jusqu’à lui reprocher «de contribuer à affaiblir la sécurité de la prison de Champ-Dollon» en voulant défendre les droits de ses pensionnai­res à un régime d’exécution plus souple. L’avocat de la directrice réagit en pointant de nombreuses erreurs de fait et s’étonne que la commission ait porté un nouveau jugement alors que la procédure contre sa cliente est close. «La CEP a clairement cédé à la facilité en désignant un bouc émissaire. Je dis que cette enquête est clairement politique, orientée et que sa mission initiale, soit l’examen des dysfonctio­nnements des institutio­ns et de l’Etat, a été détournée», estime Me Vincent Spira.

Liste de reproches

Sur le rôle de l’ex-directrice du Service d’applicatio­n des peines (Sapem), totalement blanchie par la justice administra­tive, le rapport de la CEP relève que la loi imposait que la sortie de Fabrice A., comme tout détenu réputé dangereux, soit autorisée par le ministre de la Sécurité, en l’occurrence Pierre Maudet, et que cette obligation, instituée depuis 2007, n’a jamais été formalisée, ni appliquée avant ce drame. «Le Conseil d’Etat et le Sapem n’ont pas respecté le cadre législatif, réglementa­ire et procédural en vigueur.» L’origine du problème demeure floue. «On n’a pas réussi à identifier le dysfonctio­nnement initial», souligne Roger Deneys.

Finalement, le rapport liste une série de constats où tout le monde en prend un peu pour son grade. Le Conseil d’Etat n’a pas arbitré les conflits et laissé pourrir la situation tout en négligeant les adaptation­s législativ­es et les moyens en personnel pour mieux faire. Les différente­s instances des HUG n’ont pas assez bien supervisé et analysé le fonctionne­ment de La Pâquerette. L’ex-directrice du Sapem, et d’autres encore, aurait dû faire différemme­nt. D’inévitable­s recommanda­tions suivent sur sept pages, que le gouverneme­nt dit avoir déjà mis en oeuvre, pour la plupart. Malgré tout, Roger Deneys persiste: «Genève n’a pas tiré les leçons de ce drame.»

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(SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE)

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