Les nationalistes veulent polariser les médias comme la population
On pourrait être tenté de minimiser l’échange de journaux auquel viennent de se livrer Tamedia et le groupe de Christoph Blocher. Le premier prend la Basler Zeitung, le second reçoit quelques titres, dont 50% des parts de GHI et de Lausanne Cités. La parenthèse blochérienne s’achève dans la cité rhénane, où la greffe idéologique n’a jamais vraiment pris. Passionnante ville au coeur de l’Europe, entre trois pays, Bâle n’a pas goûté les éructations politiquement réorientées de son quotidien.
Ces manoeuvres ont un air de ménage de printemps. Elles renforcent les deux groupes. Tamedia contrôle désormais la presse des cinq plus grandes villes du pays, Zurich, Genève, Lausanne, Bâle et Berne, ainsi que d’autres cités. Magnat de la presse venu sur le tard, Christoph Blocher se concentre sur les gratuits. Les deux tous-ménages de Genève et Lausanne ainsi que le Tagblatt der Stadt Zürich rejoignent les journaux de la famille Zehnder, achetés en août dernier, soit 25 titres pour environ 800000 lecteurs de Suisse orientale, mais aussi de Zurich et de Berne.
Il serait niais de pousser des cris d’orfraie parce que le tribun met les pieds en Suisse romande. Alors que les positions politiques des Romands et des Alémaniques n’ont jamais été aussi proches, y compris sur l’Europe, il n’y a aucune raison de refuser à l’UDC une présence médiatique en terres francophones.
Toutefois, cette irruption par le biais de GHI et de Lausanne Cités, c’est-à-dire dans les boîtes aux lettres de tous les citadins, a de quoi interpeller. Quoi que l’on pense des deux titres lémaniques, admettons qu’ils remplissent encore un peu leur rôle de place du village urbaine sur papier journal. L’appétit de Christoph Blocher pour la presse gratuite n’a certainement rien d’anodin. Désormais, il peut bâtir un maillage national de feuilles blockbusters, fourguées gratis dans toutes les mains.
Hormis 20 minutes, avec lequel Tamedia verrouille la publicité nationale sur un registre national, tout se met en place pour un paysage médiatique à deux vitesses. D’un côté, des journaux gratuits façon Albisgüetli, euphorie souverainiste sur remugles de saucisse de veau graisseuse. De l’autre, une presse d’auberge onéreuse, internationaliste avec sa cuisine fusion. Et des médias régionaux qui doivent aussi faire payer pour leurs informations soignées.
Une élite mondialisée déboursant pour la NZZ, le «Tagi» ou Le Temps, ou des fidèles de bons journaux régionaux payants; en face, une population qui se fait servir des canards remplis de graphiques à trois chiffres sur l’explosion des demandes d’asile et de l’insécurité. C’est ainsi que les populistes pourraient redessiner la presse helvétique, objectivement aidés par des groupes de médias qui se désengagent. C’est ainsi, sans doute, qu’ils veulent parachever la polarisation de la Suisse.
L’arrivée de Blocher en Suisse romande n’est pas le problème