La pédagogie Montessori détournée
Jeux, livres et même écoles… le nom de la célèbre pédagogue italienne, qui n’a pas été protégé, est victime d’une utilisation abusive. L’Association Montessori perd le contrôle de son label
Le nom de la pédagogue italienne qui a créé au début du XXe siècle la célèbre méthode d’enseignement n’a pas été protégé. N’importe qui peut l’utiliser. Jeux, livres et même écoles: le label Montessori fait aujourd’hui l’objet de détournements et d’utilisations abusives. Enquête sur ce business nébuleux.
Hochets, cloches musicales, puzzles, lotos, livres… Ils sont tous labellisés Montessori. Chez Nature et Découvertes, les jouets estampillés du nom de la célèbre psychiatre et pédagogue italienne regorgent sur les étals. Les chaînes françaises Oxybul et La Grande Récré, différents sites marchands, les Editions Larousse ou Nathan proposent aussi leurs modèles.
Pourtant, la médecin italienne Maria Montessori n’avait certainement pas l’intention de se lancer dans un business de pelles et de balais pour tout-petits. Or son nom, devenu un label, n’a pas été protégé. N’importe qui peut l’utiliser. «Demain, il y aura peut-être des voitures portant le nom de la pédagogue», s’indigne Ludovic Nittel, gérant de Montessori Spirit à Bergerac, en France, l’un des distributeurs officiels des trois seuls fabricants (Nienhuis aux Pays-Bas, Gonzagarredi en Italie et Matsumoto Kagaku au Japon) ayant obtenu l’agrément de l’Association Montessori Internationale (AMI) à Amsterdam. Cette association, fondée en 1929 du vivant de Maria Montessori, a pour mission de préserver, propager et promouvoir les principes et les pratiques pédagogiques.
«Aujourd’hui, des copies faites à bas coût inondent le marché. Il y a parfois une réinterprétation des préceptes de qualité des matériaux, de couleur, d’aspect ou de solidité. A la base, il s’agit de matériel scolaire qui devrait être utilisé sous la supervision d’un enseignant», avertit Ludovic Nittel.
«N’importe qui peut fabriquer ce matériel, renchérit Sabine Tinelli, coprésidente de l’Association Montessori Suisse. Certains objets ont même été totalement détournés de leur fonction primaire. Des livres proposant des activités pour enfants ou certains coffrets d’écriture n’entrent pas du tout dans la vision pédagogique initiale.»
Célèbres innovateurs
Chez Nature et Découvertes, on assure que les produits sont fabriqués sous la surveillance d’une équipe formée à la pédagogie de la célèbre médecin italienne. «Nous répondons à la demande des parents et des grands-parents, explique Philippe Ciamporcero, directeur commercial pour Payot SA, qui chapeaute Nature et Découvertes en Suisse. Ces produits ont de plus en plus de succès. Nous avons doublé notre offre en trois ans. Le chiffre d’affaires lié à ces produits a suivi la même tendance. Jusqu’à présent, nous visions les enfants de 0 à 3 ans. Désormais, nous proposons aussi des produits pour les 3 à 6 ans.»
Pourquoi un tel engouement? La marque est associée aux noms des plus célèbres innovateurs de la planète: Larry Page et Sergey Brin (Google), Jeff Bezos (Amazon), Jimmy Wales (Wikipédia) et même Roger Federer sont tous passés par les écoles Montessori. C’est ce qu’affirme, dans son livre The Second Machine Age, Erik Brynjolfsson.
Pseudo-écoles Montessori
Cette pédagogie, qui refuse la compétition et les notes, serait-elle la championne de la réussite économique? Montessori semble vendre du rêve aux parents qui sont prêts à payer jusqu’à 20000 francs de frais d’écolage par année pour inscrire leurs enfants dans ces écoles alternatives, à acheter du matériel, agencer les pièces de leur maison ou inscrire leur progéniture à des stages et des activités Montessori pendant les vacances.
Or, comme pour le matériel péda- gogique, n’importe quelle école ou garderie peut utiliser le nom de famille de la pédagogue au sien. Et les structures de ce type fleurissent comme les jouets dans les magasins. On compte 35000 écoles dans 126 pays dont plus de 50 en Suisse. La plupart pour les 3 à 6 ans, mais la tranche des 6-12 ans progresse. La plupart de ces établissements ne sont pas référencés par l’Association Montessori Suisse (AMS).
En Suisse, sur le site de l’AMS, on constate que seules quatre écoles sont officiellement reconnues dans le canton de Vaud. Que valent les autres, à l’exemple de Micki’s School Ecole Montessori à Pully, La Maison des Enfants Montessori à Lausanne ou Le Petit Montessori à Morges?
Contactée par Le Temps, l’AMS semble découvrir l’ampleur du problème. «Nous allons leur écrire. Ce label qualité est en train d’être mis en place. Les écoles qui ne sont pas répertoriées par l’association n’auront bientôt plus le droit de déposer le nom Montessori, sauf si elles répondent aux critères qualité et paient leur licence», assure Sabine Tinelli.
Batailles en vue
En Suisse, le label pour les écoles est protégé, ce qui n’est pas le cas à l’étranger. Toute école se voulant explicitement de la pédagogie Montessori doit respecter un cahier des charges et payer une licence dont le prix dépend du nombre d’enfants fréquentant l’école. Il varie de 200 à 1200 francs par an.
Pourtant, la situation reste nébuleuse. L’AMS aurait pu la clarifier depuis 2005. En effet, à la suite d’un arrêt du Tribunal fédéral fournissant les bases légales pour la protection du label Montessori, les établissements non agréés par l’association étaient censés ne plus utiliser le nom de la pédagogue. Pourtant, en treize ans, ce label qualité n’a jamais été clairement établi.
L’AMS peine à faire respecter la règle. Chaque fois que le problème se présente, une bataille juridique s’engage. Quant à l’Etat, il ne vérifie pas la bonne application du label, même si toute nouvelle école privée (Montessori ou autre) doit faire une demande d’autorisation au Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC).
La situation en Suisse ne semble finalement pas très différente de celle des autres pays. Et les nouveaux contrôles à venir de l’AMS font déjà grincer des dents. «Ce n’est pas parce qu’on paie sa licence que l’enseignement sera meilleur, s’indigne la directrice d’une école Montessori non répertoriée sur le site de l’AMS. J’ai suivi une formation en Grande-Bretagne et je suis reconnue par le canton de Vaud. Je ne paierai pas cette licence et me défendrai via mon avocat.»
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Montessori semble vendre du rêve aux parents qui sont prêts à payer jusqu’à 20000 francs de frais d’écolage par année