Le Temps

Une mise de trois millions pour gagner

La loi sur les jeux d’argent aiguise les appétits des casinos et des loteries, qui investisse­nt de larges sommes pour convaincre de sa nécessité. Les référendai­res disposent également d’un solide budget

- BORIS BUSSLINGER, PHILIPPE BOEGLIN @BorisBussl­inger, @BoeglinP

Une enveloppe de 3 millions pour convaincre le peuple. Les loteries et casinos suisses s’engagent dans la campagne en faveur de la nouvelle loi sur les jeux d’argent, soumise en votation le 10 juin. Un montant important car, pour les loteries, maisons de jeu et autres paris sportifs, l’enjeu est de taille. Le texte veut légaliser les jeux en ligne, mais en n’acceptant que les sites basés en Suisse. Les prestatair­es étrangers se verraient bloqués. Ce qui est susceptibl­e d’avantager les entreprise­s de jeu suisses et indigne les opposants.

Aux grands maux, les grands remèdes. C’est apparemmen­t sous cet angle que les loteries et casinos suisses s’engagent en faveur de la nouvelle loi sur les jeux d’argent (LJAr), en votation populaire le 10 juin. La preuve: 3 millions de francs ont été mis de côté comme budget de campagne. Une enveloppe fort respectabl­e, qui démontre la déterminat­ion des loteries, maisons de jeu et autres paris sportifs. C’est que l’enjeu est de taille. Le texte soumis au peuple entend notamment légaliser les jeux en ligne, mais en n’acceptant que les sites basés en Suisse. Au besoin, les prestatair­es étrangers se verraient bloqués. Ce qui est susceptibl­e d’avantager les entreprise­s de jeu suisses et indigne les opposants. Ceux-ci dénoncent une censure d’internet, ainsi qu’une insuffisan­ce des moyens dévolus à la prévention.

Front commun des acteurs du jeu suisses

Derrière la coquette somme de 3 millions de francs, on retrouve les 21 casinos de Suisse, la Loterie Romande, Swisslos (loterie alémanique et tessinoise) ainsi que le Sport-Toto. Ce qui soulève des questions, puisque les loteries sont tenues légalement de reverser leurs gains en faveur des collectivi­tés publiques. Directeur général de la Loterie romande, Jean-Luc Moner-Banet s’applique à mettre d’entrée les choses au point. «La part des loteries LoRo, Swisslos, Sport-Toto provient de réserves de produits immobilier­s du Sport-Toto.»

De toute évidence, le procédé est légal. Chef de la division Surveillan­ce et homologati­ons pour la Suisse romande à la Commission des loteries et paris intercanto­nale (Comlot), Pascal Philipona indique qu’en l’état, «nous n’avons pas constaté d’éléments indiquant une possible violation du droit actuel». Selon lui, «il est dans l’ordre des choses que les sociétés de loterie soient actives dans le cadre de la campagne dans la mesure où le résultat du référendum a trait à leur capacité d’assurer, à l’avenir également, des revenus pour l’utilité publique». Pourtant, n’est-ce pas le statu quo qui prévaudrai­t en cas de refus? «Dans une situation en constante évolution et très concurrent­ielle, le statu quo revient selon toute vraisembla­nce, non pas à préserver mais à péjorer la situation des sociétés de loterie», objecte Pascal Philipona.

Le bien public prioritair­e

De son côté, le patron de la Loterie Romande tient à rassurer: l’engagement dans la campagne de votation «n’affectera pas la redistribu­tion à l’utilité publique, qui touchera autant d’argent que d’habitude». Les entreprise­s de jeu helvétique­s espèrent d’ailleurs ne pas débourser la totalité du montant. «Notre budget de campagne est dynamique, il évoluera selon l’intensité des débats, nous avons cependant fixé un plafond à 3 millions de francs. L’objectif est de dépenser le moins possible.»

Le montant engagé dépendra de la tournure prise par la campagne, et du danger que représente­ra le camp adverse. Les partisans de la LJAr ont même ouvert une chaîne YouTube. «Il ne faut pas sous-estimer nos adversaire­s», avance Jean-Luc Moner-Banet.

Le budget du camp d’en face, le comité référendai­re «contre la censure et le verrouilla­ge d’internet» est moindre. Mais pas non plus anecdotiqu­e: «Nous partons du principe que nous aurons un budget d’environ 1 million», déclare Thomas Juch, responsabl­e romand du comité formé par les Jeunesses PLR, vert’libérales et UDC. Si des sociétés étrangères de jeu d’argent en ligne comme Bwin ou PokerStars ont bien donné «près d’un demi-million de francs» pour la récolte de signatures – ce que le comité n’a pas cherché à cacher –, ils ne financent plus la campagne actuelle, déclare la secrétaire générale des Jeunes PLR, Maja Freiermuth: «Nous sommes

Le texte soumis au peuple entend notamment légaliser les jeux en ligne, mais en n’acceptant que les sites basés en Suisse. L’engagement dans la campagne de votation «n’affectera pas la redistribu­tion à l’utilité publique, qui touchera autant d’argent que d’habitude», assure la Loterie Romande

repartis de zéro. L’argent récolté actuelleme­nt provient uniquement d’associatio­ns et d’entreprise­s suisses.» Contactées, aucune des maisons de jeu en ligne étrangères n’a donné suite à nos e-mails.

Autre comité à soutenir le référendum, «Non à la loi sur les jeux d’argent» est piloté par les Jeunesses vertes et socialiste­s et le Parti pirate. Coprésiden­t des Jeunes Verts suisses, Luzian Franzini tire cependant une ligne claire entre son comité et celui de Thomas Juch. «Nous désirons aussi qu’internet reste libre, toutefois nous ne nous sommes financés que par crowdfundi­ng et par nos associatio­ns partenaire­s.» Avec des prévisions budgétaire­s bien moins importante­s: environ 20000 francs.

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(LAURENT GILLIERON/KEYSTONE)

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