Le Temps

A Genève, la Catalogne pousse son plan D

Devant le blocage institutio­nnel catalan, Roger Torrent est devenu, malgré lui, le nouveau numéro un de la région. Rencontre

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @AdriaBudry

L'image est parfaite. Le Palais des Nations en toile de fond, Roger Torrent prononce solennelle­ment, en catalan puis en castillan, son allocution sur les «ingérences de l'Etat espagnol» dans le parlement catalan. Devant le président de l'hémicycle: six micros, cinq caméras et pratiqueme­nt deux fois plus de journalist­es. Il a beau être, à 38 ans, le plus jeune président de l'histoire de l'institutio­n, Roger Torrent incarne sa fonction. Et sa mission d'internatio­nalisation de la cause séparatist­e, qui irrite les sphères politiques espagnoles. A ceux qui lui reprochent d'être parti en tournée «pour la photo» ou «à la recherche d'un peu de légitimité», il rétorque simplement: «Cette attitude montre bien le manque de volonté politique de résoudre le conflit.»

Qui recevra la délégation?

L'agenda même de sa visite a fait l'objet d'une passe d'armes entre unionistes et indépendan­tistes. Dans le premier camp, on raille la méconnaiss­ance des structures onusiennes d'une délégation qui s'attendait à être reçue avec les honneurs. Au château de Penthes, où il reçoit Le Temps, nous croisons pourtant l'expert indépendan­t (et certes controvers­é) de l'ONU Alfred de Zayas, auteur d'un rapport sur le droit à l'autodéterm­ination du peuple catalan, dont le mandat arrive à son terme fin avril.

Roger Torrent balaie l'accusation de méconnaiss­ance et évoque des rencontres confidenti­elles avec «d'autres rapporteur­s de l'ONU» ainsi qu'avec des élus suisses, tous échelons confondus. «Nous sommes venus ouvrir des voies de dialogue; elles nous profiteron­t peut-être plus tard. Au-delà des Nations unies, la Suisse a une culture démocratiq­ue et une tradition de médiation.»

Ambassadri­ce «étonnée»

L'ambassade espagnole en Suisse confirme avoir été informée de cette visite, mais l'irritation point. A titre personnel, l'ambassadri­ce Aurora Diaz-Rato Revuelta se dit étonnée que «le président du parlement catalan prenne du temps pour voyager en Suisse plutôt que de tenter de former un gouverneme­nt efficace pour les citoyens catalans».

Suite à la mise sous tutelle de la Catalogne par le pouvoir central (en vertu de l'article 155 de la Constituti­on), les services de diplomatie catalans – Diplocat – ont été «liquidés». Y compris leur très jeune représenta­tion auprès des Nations unies à Genève. Depuis, les élus régionaux ont multiplié les tournées à l'étranger. «Je suis convaincu que c'est une tâche qui nous incombe, défend Roger Torrent. Surtout considéran­t qu'il n'y a pas de gouverneme­nt en ce moment.»

Issu d'une nouvelle génération de politicien­s du parti Esquerra Republican­a, Roger Torrent n'est pas encore inquiété par la justice. A Genève, l'ancien maire de la paisible bourgade de Sarria de Ter (5000 habitants), dans la très catalanist­e province de Gérone, avait un objectif politique assez clair: pousser la candidatur­e de Jordi Sanchez à la présidence de l'exécutif catalan. Or l'ancien dirigeant de l'organisati­on indépendan­tiste ANC est en prison préventive depuis mi-octobre. Une mesure qui n'épuise en rien ses droits politiques, estime Roger Torrent, qui rappelle que le Comité des droits de l'homme a émis une résolution dans cette direction.

C'est la deuxième fois que Jordi Sanchez est évoqué. Après l'exil volontaire de l'ancien président Carles Puigdemont à Bruxelles, son nom avait été prononcé. Mais le juge avait refusé de le libérer et le choix s'était porté sur le centriste Jordi Turull, qui n'avait, lui, pas réussi à convaincre l'extrême gauche catalane (CUP) et doit également comparaîtr­e devant la justice espagnole. «Ce n'est pas compliqué, s'énerve une source gouverneme­ntale espagnole. Il faut quelqu'un qui ne soit pas poursuivi, qui soit en Espagne et qui puisse se présenter le matin au bureau pour travailler!»

Suite aux événements du 1er octobre, ils sont une dizaine à faire de la prison préventive et quatre à avoir choisi l'exil, dont deux ex-députées qui ont choisi Genève: Anna Gabriel (CUP) et Marta Rovira, l'ancienne secrétaire de parti de Roger Torrent. Alors pourquoi ne pas continuer à miser sur un renouvelle­ment des forces politiques? Le député rappelle qu'il «n'improvise pas de candidats» et évoque la majorité indépendan­tiste sortie des urnes lors des dernières élections anticipées. «Est-ce que l'Etat espagnol a prévu d'emprisonne­r 2 millions de Catalans?» ironise-t-il.

Quoi qu'il en soit, si les sphères politico-judiciaire­s ne s'accordent pas sur un candidat A, B ou C avant le 22 mai, les électeurs devront repasser par les urnes. Une solution «non désirable», selon Roger Torrent, mais à laquelle les deux camps semblent se résoudre.

Roger Torrent, hier à Genève.

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(DAVID WAGNIÈRES)

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