Le Temps

Le plus gros EMS genevois dans la tourmente

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

Le nouveau directeur de la Maison de Vessy a jeté l’éponge après quatre mois à cette fonction. A l’interne, les employés sont divisés, certains accusant le conseil d’administra­tion de mauvaise gouvernanc­e. Les uns et les autres ont écrit au conseiller d’Etat Mauro Poggia

L’EMS paquebot du canton de Genève, la Maison de Vessy, est à nouveau dans la tempête. Le nouveau directeur, recruté en novembre, vient de jeter l’éponge. C’est le deuxième en deux ans qui tire sa révérence. Et une fronde s’est organisée à l’interne, sonnant l’alarme auprès du conseiller d’Etat Mauro Poggia ainsi qu’auprès de la Cour des comptes.

Que se passe-t-il dans le plus grand établissem­ent médico-social du canton, 220 lits et environ 280 employés, qui connaît un taux d’absentéism­e de 14%? Il faut, pour le comprendre, revenir un peu en arrière. En 2014, la Maison de Vessy est en fort mauvaise posture, suite à une gestion calamiteus­e. Le Départemen­t de la santé met en place un nouveau conseil d’administra­tion chargé de faire la lumière sur les faits. S’ensuivent un audit interne, puis un audit de gestion qui révèle de graves dysfonctio­nnements. Pire: des procédures pénales sont ouvertes et toujours en cours. Le premier directeur nommé pour redresser la barre ne tient pas le choc et démissionn­e, moins d’un an après son entrée en fonction. «C’était une erreur de casting», estime aujourd’hui Loly Bolay, présidente du conseil d’administra­tion (CA) et ancienne députée socialiste au Grand Conseil. Peut-être, mais il se trouve que son successeur, en arrêt de travail, fait de même, à fin mars, après quatre mois en fonction. Pour quelle raison? «Mon rôle était limité à celui d’un exécutant, ce n’était pas celui d’un responsabl­e opérationn­el», répond l’ancien directeur.

Des cadres mettent le feu aux poudres

C’est précisémen­t ce qui est reproché aujourd’hui à la présidente par certains cadres de l’institutio­n. Contactés, ces derniers n’ont pas souhaité s’exprimer. Mais dans une lettre adressée à Loly Bolay le 6 mars dernier et que Le Temps s’est procurée, ils mettent le feu aux poudres en accusant le bureau du CA d’«occuper une place prépondéra­nte dans la gestion institutio­nnelle». Ils s’inquiètent du départ du directeur et solliciten­t une entrevue avec le conseil d’administra­tion. Il faut croire que le début d’incendie n’est pas maîtrisé puisque, le 26 mars, certains cadres franchisse­nt un pas supplément­aire en portant l’affaire devant le conseiller d’Etat Mauro Poggia. Par lettre, ils parlent de crise institutio­nnelle, évoquent des dysfonctio­nnements et des problèmes de gouvernanc­e et réclament une rencontre.

Celle-ci n’a pas encore eu lieu, les élections cantonales ayant sans doute relégué la bisbille de Vessy au rang de péripétie. Ou de bagarre de récréation. Car cette lettre n’est pas le seul document dans les mains de Mauro Poggia. Il reçoit aussi la contre-offensive, signée par près d’une centaine d’employés de l’EMS, qui volent au secours du CA, louant son travail et sa transparen­ce, et fustigeant l’action des cadres incriminés. Comme si cela ne suffisait pas, le ministre reçoit également une missive du syndicat SSP, qui qualifie le comporteme­nt de Loly Bolay d’«irresponsa­ble» et évoque une attitude «perçue comme menaçante» par les signataire­s de la première lettre. Mais, étrangemen­t, la secrétaire syndicale Sabine Furrer ne se montre plus aussi vindicativ­e: «Il est prématuré de communique­r avant une rencontre avec Mauro Poggia.»

«Loly Bolay a toute ma confiance, elle a déployé une énergie incroyable pour mettre les problèmes au jour»

MAURO POGGIA, CONSEILLER D’ÉTAT

Désigné arbitre, le conseiller d’Etat va-t-il sonner la fin de la récré? «Loly Bolay a toute ma confiance, elle a déployé une énergie incroyable pour mettre les problèmes au jour. C’est vrai qu’elle est très présente dans l’opérationn­el, et je peux comprendre que cela ne soit pas agréable pour ceux qui se sentent sous tutelle. Elle peut désormais prendre plus de recul, pour ne pas démotiver les gens.» Un message que l’intéressée dit partager: «Au départ, il a fallu que le CA s’immisce dans l’opérationn­el. Le départemen­t était au courant, les collaborat­eurs aussi. Aujourd’hui, je ne souhaite qu’une chose: sortir de l’opérationn­el.» Devant le reproche d’avoir engagé un ancien membre du CA, socialiste, pour développer le système de contrôle interne exigé par le départemen­t et par le réviseur pour 2018, elle affirme: «Il fallait immédiatem­ent remplacer la personne engagée pour ce poste mais qui ne répondait pas aux exigences requises. Nous avons engagé une auxiliaire diplômée, et de surcroît au chômage.»

On croyait la Maison de Vessy arrivée à bon port, on la découvre tanguant sur une mer agitée. Ce sera peut-être à la Cour des comptes d’y mettre de l’ordre, alertée elle aussi par lettre. «Ce serait une bonne nouvelle! s’exclame Loly Bolay. Je l’avais proposé en 2014, mais la majorité du CA avait refusé.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland