Le Temps

Macron-Merkel, la panne?

- RICHARD WERLY @LTwerly

S’il s’agissait d’un film, son titre pourrait être: «La terrible défaite de Martin Schulz». Songez plutôt. Novembre 2016: celui qui est alors le président social-démocrate du Parlement européen est désigné pour conduire la campagne du SPD face à Angela Merkel. A Paris, les fédéralist­es exultent. Schulz le francophon­e, ancien libraire à Würselen, près d’Aix-la-Chapelle, est l’archétype du dirigeant allemand sur lequel l’Elysée pense pouvoir compter pour dessiner ensemble l’avenir de l’Union. En 2012, l’intéressé s’était personnell­ement déplacé à Paris pour faire campagne aux côtés de François Hollande. Bref, un atout maître pour le fameux couple franco-allemand.

Deux ans plus tard, l’ascension promise s’est transformé­e en déroute politique et personnell­e. Non content d’avoir été sévèrement battu aux législativ­es par les conservate­urs de la CDU-CSU, le SPD a congédié, le 13 février, celui qui s’était efforcé de le sauver. Un remplaçant à la tête du parti sera désigné d’ici à fin avril. Exit donc Martin Schulz l’Européen, dont le seul legs reste le programme de la coalition gouverneme­ntale forgée, in fine, par une chancelièr­e allemande très affaiblie à la veille de son quatrième mandat consécutif. Un programme qui place la coopératio­n européenne au premier plan. Ce dont la France s’est immédiatem­ent félicitée.

Comment, dès lors, travailler avec l’Allemagne? Comment revitalise­r, dans un contexte politique marqué outre-Rhin par la forte progressio­n des europhobes d’extrême droite de l’AfD (92 élus au Bundestag), le couple franco-allemand? A ces deux questions, Emmanuel Macron devra apporter un début de réponse ce jeudi à Berlin, lors de ses échanges avec Angela Merkel. La zone euro, bien sûr, sera au centre de leurs discussion­s. Le président français est, sur le principe, d’accord avec la chancelièr­e pour en accélérer l’intégratio­n, via un budget propre, la finalisati­on de l’union bancaire et la création d’un Fonds monétaire européen digne de ce nom.

Problème: mettre Merkel «en marche» est aujourd’hui une gageure: «Le calcul politique est simple, explique Günther Nonnenmach­er, ancien rédacteur en chef de la Frankfurte­r Allgemeine Zeitung, invité à Paris par la maison Heinrich Heine. Sous la législatur­e précédente, une soixantain­e de députés conservate­urs en moyenne étaient opposés aux plans de sauvetage des pays de l’UE en crise. Cela compliquai­t la donne, mais n’empêchait pas les décisions car Merkel disposait d’une solide majorité. Désormais, ceux-là peuvent tout bloquer. La courte majorité de dix députés (364 sur 709) paralyse la Chanceller­ie. A tout moment, le dialogue entre Paris et Berlin peut se gripper.»

L’ironie est qu’Emmanuel Macron est pourtant bien mieux «outillé» que ses prédécesse­urs pour obtenir gain de cause. Les réformes économique­s et financière­s tant attendues sont enfin à l’agenda en France. La volonté du locataire de l’Elysée est affichée. Son plaidoyer pour la défense de la démocratie et sa volonté de riposter à la «tentation illibérale» de plusieurs dirigeants d’Europe centrale était encore, à Strasbourg, au centre de son interventi­on cette semaine.

Mieux: 14 économiste­s français et allemands sont parvenus, en janvier, à tomber d’accord sur un programme en six points. Malgré leurs opinions parfois divergente­s, tous sont tombés d’accord sur la nécessité de diminuer les risques bancaires, de remplacer les règles budgétaire­s actuelles, et de transforme­r le mécanisme de solidarité basé à Luxembourg en organe responsabl­e devant le Parlement européen. Une feuille de route est donc disponible. La très prudente Angela Merkel a la visibilité requise. «L’Allemagne ne peut plus dire que la France ne se réforme pas, note le correspond­ant à Paris du quotidien des affaires Handelsbla­tt, Thomas Hanke. Berlin a perdu sa traditionn­elle excuse.»

Emmanuel Macron compte, pour revitalise­r l’axe franco-allemand, sur l’effet d’entraîneme­nt des consultati­ons citoyennes à travers l’Europe, à l’image de celle à laquelle il a participé mardi à Epinal (Vosges). Son idée, en somme, est d’ajouter de la pression politique pour convaincre Berlin de l’urgence d’une contre-offensive face aux succès populistes et souveraini­stes en Italie et en Europe centrale. Sauf que l’idée-force d’une «souveraine­té économique européenne» est difficile à expliquer aux opinions publiques et aux décideurs économique­s. La discorde franco-allemande, au sommet d’Airbus, entre Fabrice Brégier et Tom Enders, en a apporté récemment l’éclatante démonstrat­ion. La panne du moteur Merkel clouera-t-elle au sol le biréacteur franco-allemand?

▅ A lire pour comprendre la montée des populistes: «Combattre l’Europe. De Lénine à Marine Le Pen» de Bernard Bruneteau (CNRS Editions).

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