Macron-Merkel, la panne?
S’il s’agissait d’un film, son titre pourrait être: «La terrible défaite de Martin Schulz». Songez plutôt. Novembre 2016: celui qui est alors le président social-démocrate du Parlement européen est désigné pour conduire la campagne du SPD face à Angela Merkel. A Paris, les fédéralistes exultent. Schulz le francophone, ancien libraire à Würselen, près d’Aix-la-Chapelle, est l’archétype du dirigeant allemand sur lequel l’Elysée pense pouvoir compter pour dessiner ensemble l’avenir de l’Union. En 2012, l’intéressé s’était personnellement déplacé à Paris pour faire campagne aux côtés de François Hollande. Bref, un atout maître pour le fameux couple franco-allemand.
Deux ans plus tard, l’ascension promise s’est transformée en déroute politique et personnelle. Non content d’avoir été sévèrement battu aux législatives par les conservateurs de la CDU-CSU, le SPD a congédié, le 13 février, celui qui s’était efforcé de le sauver. Un remplaçant à la tête du parti sera désigné d’ici à fin avril. Exit donc Martin Schulz l’Européen, dont le seul legs reste le programme de la coalition gouvernementale forgée, in fine, par une chancelière allemande très affaiblie à la veille de son quatrième mandat consécutif. Un programme qui place la coopération européenne au premier plan. Ce dont la France s’est immédiatement félicitée.
Comment, dès lors, travailler avec l’Allemagne? Comment revitaliser, dans un contexte politique marqué outre-Rhin par la forte progression des europhobes d’extrême droite de l’AfD (92 élus au Bundestag), le couple franco-allemand? A ces deux questions, Emmanuel Macron devra apporter un début de réponse ce jeudi à Berlin, lors de ses échanges avec Angela Merkel. La zone euro, bien sûr, sera au centre de leurs discussions. Le président français est, sur le principe, d’accord avec la chancelière pour en accélérer l’intégration, via un budget propre, la finalisation de l’union bancaire et la création d’un Fonds monétaire européen digne de ce nom.
Problème: mettre Merkel «en marche» est aujourd’hui une gageure: «Le calcul politique est simple, explique Günther Nonnenmacher, ancien rédacteur en chef de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, invité à Paris par la maison Heinrich Heine. Sous la législature précédente, une soixantaine de députés conservateurs en moyenne étaient opposés aux plans de sauvetage des pays de l’UE en crise. Cela compliquait la donne, mais n’empêchait pas les décisions car Merkel disposait d’une solide majorité. Désormais, ceux-là peuvent tout bloquer. La courte majorité de dix députés (364 sur 709) paralyse la Chancellerie. A tout moment, le dialogue entre Paris et Berlin peut se gripper.»
L’ironie est qu’Emmanuel Macron est pourtant bien mieux «outillé» que ses prédécesseurs pour obtenir gain de cause. Les réformes économiques et financières tant attendues sont enfin à l’agenda en France. La volonté du locataire de l’Elysée est affichée. Son plaidoyer pour la défense de la démocratie et sa volonté de riposter à la «tentation illibérale» de plusieurs dirigeants d’Europe centrale était encore, à Strasbourg, au centre de son intervention cette semaine.
Mieux: 14 économistes français et allemands sont parvenus, en janvier, à tomber d’accord sur un programme en six points. Malgré leurs opinions parfois divergentes, tous sont tombés d’accord sur la nécessité de diminuer les risques bancaires, de remplacer les règles budgétaires actuelles, et de transformer le mécanisme de solidarité basé à Luxembourg en organe responsable devant le Parlement européen. Une feuille de route est donc disponible. La très prudente Angela Merkel a la visibilité requise. «L’Allemagne ne peut plus dire que la France ne se réforme pas, note le correspondant à Paris du quotidien des affaires Handelsblatt, Thomas Hanke. Berlin a perdu sa traditionnelle excuse.»
Emmanuel Macron compte, pour revitaliser l’axe franco-allemand, sur l’effet d’entraînement des consultations citoyennes à travers l’Europe, à l’image de celle à laquelle il a participé mardi à Epinal (Vosges). Son idée, en somme, est d’ajouter de la pression politique pour convaincre Berlin de l’urgence d’une contre-offensive face aux succès populistes et souverainistes en Italie et en Europe centrale. Sauf que l’idée-force d’une «souveraineté économique européenne» est difficile à expliquer aux opinions publiques et aux décideurs économiques. La discorde franco-allemande, au sommet d’Airbus, entre Fabrice Brégier et Tom Enders, en a apporté récemment l’éclatante démonstration. La panne du moteur Merkel clouera-t-elle au sol le biréacteur franco-allemand?
▅ A lire pour comprendre la montée des populistes: «Combattre l’Europe. De Lénine à Marine Le Pen» de Bernard Bruneteau (CNRS Editions).