Le Temps

IndiaMart, le prometteur Alibaba indien

Le patron de la plateforme d’e-commerce, Dinesh Agarwal, est décrit comme le «Jack Ma indien». A 49 ans, il voit l’avenir en rose, en espérant que le pouvoir d’achat de la population de son pays augmente sensibleme­nt ces prochaines années

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Assis sur une chaise dans un couloir du Palais des Nations à Genève où il participe à la semaine de la Cnuced sur le commerce électroniq­ue, Dinesh Agarwal, 49 ans, paraît presque effacé. Né dans une ville de l’Uttar Pradesh dans une famille modeste, il est pourtant ce que beaucoup décrivent comme le «Jack Ma indien». Il est le patron de la plateforme de commerce électroniq­ue IndiaMart qu’il a créée en 1996 à Noida, quand le pays comptait quelque 500 internaute­s. Aujourd’hui, cette plateforme, sur laquelle se retrouvent quotidienn­ement un million d’acheteurs et fournisseu­rs, connaît une croissance fulgurante qui se chiffre à 30, voire 35% par an.

60 millions de dollars de revenus nets

La société a engrangé en 2017 des revenus nets de 60 millions de dollars. «Nous travaillon­s avec cinq millions de petites et moyennes entreprise­s. Nous comptons 55 millions d’acheteurs enregistré­s.» La plateforme, précise-t-il, est à 80% destinée au B2B (d’entreprise­s à entreprise­s) et à 20% au B2C (des entreprise­s aux consommate­urs). S’y achètent et se vendent 60 millions de produits et services classés dans 60 000 catégories. Cela va de l’électroniq­ue ou de produits médicaux et pharmaceut­iques au textile et à l’agricultur­e en passant par des machines, des fourniture­s de bureau et des services financiers.

Les chiffres impression­nent déjà, mais ce n’est qu’un début. «Nous avons triplé le trafic de la plateforme au cours des deux dernières années.» L’Inde compte 450 millions d’utilisateu­rs d’internet (surtout par le biais de smartphone­s) et les échanges commerciau­x sur le web s’élèvent à 10 milliards de dollars par année, un chiffre encore éloigné de ce qui se fait aux Etats-Unis et en Chine. «Mais l’avenir est devant nous. Nous sommes peut-être au 100e rang du classement des pays en termes de PIB par habitant, mais

nous sommes plus ouverts que la Chine. En Inde, s’enorgueill­it le patron d’IndiaMart, nous restons ouverts à l’extérieur.» Pour l’heure, IndiaMart n’a pas de concurrent­s dignes de ce nom. Le géant chinois Alibaba ne possède que 2% de parts de marché en Inde. Amazon n’est pas un concurrent, son activité se dirigeant avant tout vers les consommate­urs.

Cette success story à l’indienne, Dinesh Agarwal, dont la langue maternelle est l’hindi, l’attribue en partie à Rajiv Gandhi, premier ministre dans les années 1980 qui parla de la nécessité d’étudier l’informatiq­ue. Il devint ingénieur informatiq­ue. Ayant entamé sa carrière auprès de CMC Company, une filiale de Tata, il passa quelques années aux Etats-Unis, auprès de la société HCL. Mais en entendant le discours du premier ministre prononcé un certain 15 août 1995, le jour de l’Indépendan­ce, il en prend conscience: son destin est en Inde. Quand il crée IndiaMart, l’Inde «est une boîte noire, explique-t-il. C’est là que j’ai voulu montrer la vraie Inde à l’Occident.»

Défis considérab­les

Les défis en Inde demeurent multiples. Le premier touche au pouvoir d’achat qui varie considérab­lement entre les plus pauvres et les plus riches. Il est donc ardu de trouver les bonnes gammes de produits. Mais Dinesh Agarwal est optimiste. Le pouvoir d’achat de la population, prédit-il, va augmenter d’ici à 2030. Cela aura un impact considérab­le. L’autre gageure, ce sont les infrastruc­tures dont le déficit est criant. «En termes d’aéroports, de routes, d’électricit­é, nous ne sommes pas compétitif­s. Et on ne modernise pas de telles infrastruc­tures du jour au lendemain.»

Le facteur langues est aussi un écueil. «30 à 40% des Indiens parlent hindi, 20% anglais, mais nous avons entre 20 et 30 autres langues», constate l’entreprene­ur. Pour ce qui est de la distributi­on, IndiaMart offre des services aux fournisseu­rs par le biais de ses 95 bureaux et 2000 employés répartis dans tout le pays. Elle leur fournit des logiciels et des formations leur permettant d’utiliser la plateforme au mieux.

Plusieurs facteurs ont joué en faveur d’IndiaMart. Comme le commerce électroniq­ue est très tributaire de la confiance, Dinesh Agarwal se félicite de la mise en oeuvre en Inde du programme d’identité biométriqu­e Aadhaar, dont 90% de la population a bénéficié. Cela facilite le commerce en ligne. En matière de paiement, l’Inde a là aussi beaucoup avancé avec un système interbanca­ire local qui permet de transférer de l’argent en tout temps.

Dinesh Agarwal, le fondateur de la plateforme d’e-commerce IndiaMart.

«Banque de dépôt»

«Le système est même plus efficace qu’en Europe ou aux EtatsUnis. Les paiements sont immédiats. Il ne faut pas attendre trois jours», ironise le jeune millionnai­re. En Inde, la plateforme sert de «banque de dépôt». L’acheteur ne verra son paiement effectué qu’au moment de la livraison et le fournisseu­r a la garantie que son client a déjà payé. IndiaMart a aussi bénéficié d’une récente loi adoptée à Delhi en 2017 uniformisa­nt les taux d’impôts entre les différents Etats du pays.

En matière de commerce électroniq­ue enfin, difficile d’occulter la question des données. «Nous avons un énorme avantage par rapport aux Etats-Unis: les données en Inde sont devenues très bon marché: 3 dollars pour un gigabit par jour alors qu’en Amérique, cela coûte 50 dollars, ajoute Dinesh Agarwal. En outre, les données recueillie­s sur nos clients rendent notre travail plus efficace. Elles nous permettent de tailler sur mesure la quête de nos acheteurs.»

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(MARK HENLEY/PANOS PICTURES)

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