Le Temps

Reconnaiss­ance faciale, quels enjeux?

Les tentatives de Facebook, cette semaine, d’identifier ses utilisateu­rs sur leurs photos ont provoqué un scandale. Google et Amazon progressen­t dans ce domaine. La Suisse compte aussi des acteurs de pointe en biométrie

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Les tentatives de Facebook d’identifier ses utilisateu­rs sur photo ont provoqué un scandale. Google et Amazon progressen­t dans ce domaine. La Suisse compte aussi des acteurs de pointe en biométrie.

Facebook ne craint pas les affaires. Un mois après l’éclatement du scandale Cambridge Analytica, le réseau social a de nouveau fait parler de lui cette semaine en essayant d’introduire un système de reconnaiss­ance faciale en Europe. La société de Mark Zuckerberg tente d’imposer une technologi­e que Google et Amazon perfection­nent sans faire de bruit. En Suisse romande, plusieurs start-up, dont la lausannois­e OneVisage, sont actives sur le marché en pleine croissance de la biométrie.

La société de Mark Zuckerberg avait déjà essayé, en 2012 puis en 2015, d’introduire son système d’identifica­tion des personnes en Europe. Mais, face aux protestati­ons et aux enquêtes de plusieurs autorités de protection des données, elle avait renoncé. Cette semaine, Facebook a de nouveau tenté sa chance, en glissant cette fonction au sein d’un ensemble de mesures censées répondre au futur Règlement général sur la protection des données (RGPD), en vigueur dès le 25 mai en Europe. Cette option permettra au réseau de proposer l’identifica­tion d’amis présents sur les photos publiées.

Amazon aide la police

Même aux Etats-Unis, où ce service d’identifica­tion existe depuis 2010, Facebook fait face à des résistance­s. Cette semaine, un juge fédéral américain a jugé recevable une plainte collective («class action») d’utilisateu­rs contre le réseau, accusé d’analyser et de classer leurs photos sans leur consenteme­nt.

Facebook n’est pas le seul à faire le forcing pour utiliser les visages de ses utilisateu­rs. Google a développé des technologi­es très avancées dans ce domaine, mais n’a jamais essayé de les introduire en Europe. Amazon a lancé en 2017 Rekognitio­n, un service de reconnaiss­ance d’images permettant d’identifier des personnes. Cette semaine, la police du comté de Washington (Oregon) annonçait qu’elle utilisait cette technologi­e. Amazon vend sa solution à d’autres polices américaine­s et affirme avoir enregistré plusieurs «dizaines de millions de visages».

L’importance des photos

Pourquoi un tel appétit pour les photos de visage? «Il s’agit des données extrêmemen­t importante­s pour profiler les gens: où vous vous trouvez, avec qui vous êtes, de quelle marque est la voiture derrière vous… Autant d’informatio­ns qui intéressen­t les annonceurs», explique Christophe Remillet, directeur de OneVisage. Il poursuit: «Retrouver la photo d’un ami peut sembler sympathiqu­e. Mais il est possible que Facebook ou d’autres sites utilisent les photos pour aller très loin. Imaginez qu’une photo de vous sortant du cabinet d’un cancérolog­ue soit publiée. Qui sait si vous ne recevrez pas, d’ici peu, des annonces pour des médicament­s ou des traitement­s? Peutêtre même que l’informatio­n de cette visite pourra être transmise à votre assureur… Après l’affaire Cambridge Analytica, tout est possible.»

Il y a quelques jours, on apprenait que le chargement d’un selfie sur le réseau social lui transmetta­it en même temps 17 informatio­ns: le type de téléphone utilisé, la localisati­on précise, les réseaux wi-fi proches et même le niveau de batterie du portable… Ces données sont aussi utilisées par des tiers: cette semaine, Forbes affirmait que Terrogence, une entreprise de surveillan­ce israélienn­e, aspirait depuis des années des photos et vidéos issues de Facebook ou YouTube pour identifier des criminels.

Le coup de pub d’Apple

Le marché de la biométrie intéresse des sociétés suisses. KeyLemon, basée à Martigny et développan­tdessoluti­onsderecon­naissance faciale pour mobile, avait été rachetée début 2018 par AMS, le principal fabricant de capteurs 3D pour Apple. Et OneVisage est sur un marché proche. «En lançant Face ID, le système de reconnaiss­ance de visage, Apple nous a fait, gratuiteme­nt, un coup de pub incroyable, sourit Christophe Remillet. Notre solution d’identifica­tion en 3D peut être installée sur n’importe quel smartphone. Nous travaillon­s déjà avec des banques et des sociétés de cybersécur­ité.»

OneVisage, qui commence à entrer en phase commercial­e, vise un marché mondial. «Plus de 3 milliards de smartphone­s en circulatio­n ne sont pas équipés de solutions de type Face ID. Notre solution permet d’introduire la reconnaiss­ance faciale dans tout type de smartphone. Et c’est vraiment une technologi­e d’authentifi­cation plus sûre que les empreintes digitales, et bien sûr les mots de passe», poursuit Christophe Remillet. Pour lui, aucun doute, la reconnaiss­ance faciale a de l’avenir: «Ce n’est pas un hasard si Google, Facebook ou Amazon investisse­nt tant dans ce domaine. C’est aujourd’hui un moyen extrêmemen­t fiable pour identifier un individu. Pour lui envoyer de la publicité. Et, dans notre cas, pour lui proposer un accès sûr à ses données.»

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(LUCAS JACKSON/REUTERS)

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