Le Temps

«Je ne suis pas une marionnett­e»

Le 6 mai, les Genevois élisent un nouveau Conseil d’Etat. Une femme est bien placée pour y accéder et doubler la représenta­tion féminine au gouverneme­nt. La candidate PLR a une quinzaine d’années d’engagement politique derrière elle, mais reste méconnue d

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURE LUGON ZUGRAVU ET DAVID HAEBERLI @LaureLugon @David_Haeberli

La PLR Nathalie Fontanet est candidate au Conseil d’Etat genevois. Elle est bien placée pour y accéder et doubler la représenta­tion féminine au gouverneme­nt. Rencontre.

Cinquantet­rois ans, trois filles, un divorce, dix ans de députation, six ans en ville de Genève. Le portrait en chiffres de Nathalie Fontanet s’égraine aisément. Mais que ditil de la candidate PLR qui se trouve aux portes du Conseil d’Etat, après un premier tour qui l’a placée en septième position? Malgré plus de quinze ans d’engagement en politique, bien des électeurs en sont restés au cliché d’une blonde BCBG, sac Hermès et grande écharpe. Ellemême en rit d’ailleurs. La réalité est évidemment plus complexe et la discussion révèle une acharnée. «Une femme de dossiers», disent plusieurs députés qui ont siégé avec elle. L’expression lui convientel­le? «Je n’aime pas intervenir sur un sujet que je ne connais pas, répondelle. Donc, oui, je travaille beaucoup mes dossiers avant de prendre la parole.»

Alors que Le Temps a lancé en début de semaine un mois consacré à la cause de l’égalité hommesfemm­es, entretien avec la seule politicien­ne en position de rendre le Conseil d’Etat genevois plus féminin qu’il ne l’est aujourd’hui.

On sait peu de chose de vous avant le début de votre carrière politique. Quelle enfance avez-vous eue? C’était une enfance heureuse. Mon père travaillai­t énormément, ma mère s’occupait de moi et de ma soeur. Mais j’ai ressenti le manque d’une grosse cellule familiale. Si bien que j’ai eu envie de construire une famille, et mon but a vite été d’avoir beaucoup d’enfants. Je voyais cela comme source d’une grande stabilité. J’ai rencontré mon mari à 19 ans, nous nous sommes fiancés neuf mois plus tard. Et deux mois après, j’étais enceinte. J’ai passé ma maturité enceinte. Nous nous sommes mariés le lendemain de son obtention. Quelques mois plus tôt, je m’étais inscrite à l’Université. Je n’ai pas confirmé mon inscriptio­n, pour m’occuper de ma famille.

Vous avez suivi un modèle très traditionn­el, l’indépendan­ce n’étaitelle pas une aspiration pour vous, dix-sept ans après Mai 68? Je sais que cela a l’air fou aujourd’hui. Mais j’ai été élevée dans ce modèle. Je ne m’interrogea­is pas vraiment. Mon père, PDG de différente­s sociétés, subvenait à nos besoins et ma mère était le pilier de notre foyer. Par ailleurs, j’étais vue dans ma famille comme celle qui allait faire des enfants, alors que ma soeur cadette, passionnée d’art, a suivi son inspiratio­n pour aller étudier à Paris.

Votre divorce a-t-il mis fin abruptemen­t à cette vision du monde? Oui, à 34 ans, après quatorze ans de vie consacrée au bonheur de mes filles et de mon mari, j’ai dû remettre ma vie en question. Evidemment, les ruptures n’intervienn­ent pas du jour au lendemain. Il y a eu des mois de doutes sur mon couple. Je ne voulais pas être celle qui quitte un mari qui avait beaucoup travaillé pour sa femme et ses enfants. L’homme est là pour s’occuper de sa famille: le modèle était fortement ancré dans ma famille, dans ma bellefamil­le également (ndlr: Guy Fontanet, son beaupère d’alors, ancien conseiller d’Etat, a été une figure du PDC). Me retrouver seule, sans formation, sans métier et avec mes trois filles n’a pas été facile. Après mon divorce, la contributi­on d’entretien versée par mon exmari m’a permis de faire de vrais choix. J’ai décidé d’entreprend­re des études à l’Université. J’ai dû m’y prendre à plusieurs fois pour m’inscrire. A la première, je n’ai pas osé descendre de ma voiture. Pour la première fois de ma vie, je devais envisager de vivre grâce à ce que je faisais. La confiance s’est réellement installée avec les résultats des examens de première année. J’avais d’abord choisi d’étudier la psychologi­e, pour bifurquer vers le droit, où les perspectiv­es d’emploi me semblaient plus sûres.

Adolescent­e, vous étiez plutôt obéissante comme dans un film avec Catherine Deneuve, ou rebelle comme Isabelle Adjani? Au Cycle de la Florence, j’étais très amie avec des gens différents, de tous les milieux. Je m’exprimais volontiers en classe, pour prendre fait et cause pour les uns et les autres. J’avais un boguet et des pantalons bouffants que mes parents me priaient d’enlever selon les activités que nous avions en famille. Je sortais des sentiers battus, mais pas trop non plus.

En vous retournant sur ce parcours, qu’est-ce qui vous rend le plus fière? La réussite de mes filles. Avoir pu devenir indépendan­te, me construire un avenir à 34 ans, alors que ma vie était réglée sur des schémas complèteme­nt différents. Pouvoir représente­r un modèle pour d’autres femmes.

En découvrant votre parcours, on attendrait de votre action politique qu’elle consiste à renforcer l’aide sociale notamment pour les familles monoparent­ales, et non à l’affaiblir, non? Je ne veux pas couper dans l’aide sociale. Ces situations me touchent énormément. Je sais ce que c’est d’élever seule trois enfants. Evidemment que l’Etat est là pour aider ces personnes. C’est au coeur de son rôle. Je pense cependant qu’il faut trouver des moyens pour les en sortir. Les aides devraient servir de transition vers une situation où l’on n’en a plus besoin.

Pourquoi le PLR veut-il couper dans ces aides? Il n’est pas question de le faire. Par contre, il faut travailler sur les seuils et les incitatifs. Ce que je souhaite, c’est que lorsqu’un membre d’une famille qui perçoit l’aide sociale trouve un travail à 50%, par exemple, on ne soit pas obligé de supprimer l’intégralit­é de cette aide. Il faut revoir le système afin qu’il accompagne les gens, leur permettre d’évoluer vers l’indépendan­ce. Et je ne pense pas que l’on ait fait l’examen complet du système actuel.

Au parlement de la ville de Genève comme du canton, vous avez été active sur la question de l’école. Qu’est-ce qui cloche dans l’école genevoise? Il faut restaurer son autorité. Au prétexte de l’inclusion et de l’égalité des chances, on part aujourd’hui du principe que tout le monde a droit à tout. Or ce n’est ni aux élèves ni aux parents de déterminer ce que l’école doit exiger. Son rôle primordial est de transmettr­e des savoirs. J’ai rencontré beaucoup d’enseignant­s, venus me voir spontanéme­nt, et pas tous de mon bord politique. Leur préoccupat­ion était d’expliquer la réalité des classes, au cycle comme au primaire. Ils font face à des problèmes de comporteme­nts qui détruisent des classes et empêchent l’acquisitio­n des connaissan­ces. Certains élèves particuliè­rement difficiles à gérer devraient être dirigés vers des classes spécialisé­es. On doit avoir le courage de signifier aux parents concernés que certains comporteme­nts ne peuvent pas être tolé

rés dans le cursus ordinaire. Aujourd’hui, trop de classes difficiles ne peuvent pas avancer, et les enseignant­s n’ont pas toujours l’appui de leur direction ou du Départemen­t de l’instructio­n publique.

Que feriez-vous pour changer cette situation?

Au cycle, il faut revoir le fonctionne­ment du système de passerelle­s, qui n’est pas satisfaisa­nt. Un élève doit avoir un réel espoir que s’il travaille, il pourra bénéficier d’une bonne formation qui lui plaise. Dans le regroupeme­nt 1 (ndlr: les élèves les plus faibles), il faut développer l’approche métiers plutôt que se focaliser sur un enseigneme­nt traditionn­el qui n’est pas adapté à ces élèves. Plus généraleme­nt, la numérisati­on de notre société implique que 60% des métiers de demain n’existent pas encore. La formation doit être rattachée à l’économie. Il faut développer les filières de formation profession­nelle en lien avec les entreprise­s. Elles connaissen­t leurs futurs besoins. Sinon, on va laisser des gens au bord du chemin de cette 4e révolution industriel­le.

Sur la santé, le PLR veut intégrer les cliniques privées. Zurich l’a fait et ses coûts ont augmenté. Voulez-vous soutenir les privés sur le dos des assurés?

Il ne s’agit pas de libéralise­r l’ensemble du marché, mais de revoir le fonctionne­ment actuel qui ne laisse aucune compétence échapper aux Hôpitaux universita­ires genevois (HUG). Certaines opérations sont moins chères dans les cliniques, eu égard au fait que leurs structures sont plus petites, qu’elles ne sont pas ouvertes 24 heures sur 24 et aux salaires, dans une moindre mesure. Aujourd’hui, chacun veut tout, Genève compte 400 scanners à IRM. C’est la garantie d’une hausse continue des primes.

Ne faut-il pas commencer par éduquer le patient?

Il ne s’agit pas de culpabilis­er le patient ou de vociférer contre les médecins, qui n’ont certaineme­nt pas choisi ce métier pour devenir riches. Une solution est par exemple de rendre plus performant le dossier intégré du patient et l’inciter à y adhérer. Beaucoup craignent pour la protection des données, mais il ne faut pas se mentir: les assureurs ont déjà accès à tout.

La directrice de l’assurance maladie CSS propose d’augmenter la franchise jusqu’à 10 000 francs. Une solution?

Non. Seuls 10% de la population pourraient se la payer et cette propositio­n pourrait impliquer une renonciati­on aux soins. Or c’est aux 90% restant des assurés qu’on doit proposer des solutions pour faire baisser les primes en agissant sur les causes de leur hausse: l’augmentati­on des coûts de la santé.

Le PLR veut baisser les impôts des personnes physiques et l’impôt sur la fortune. Or la réforme de l’imposition des entreprise­s (PF17) coûtera passableme­nt. Est-ce réaliste de mener les deux de front?

La vraie priorité sera PF17, 60000 emplois sont en jeu. Si l’on n’agit pas, nos entreprise­s vont partir dans le canton de Vaud, qui a trouvé une majorité avec la gauche pour un taux à 13,79%. Et qu’on ne vienne pas nous dire que les infrastruc­tures genevoises feront la différence devant un différenti­el de dix points (ndlr: le taux genevois est à 24% aujourd’hui). D’autant que les décisions de délocalisa­tion ne sont pas prises par les directeurs genevois des entreprise­s à statut, mais à l’internatio­nal. Il est important de rappeler que PF17 implique une augmentati­on des impôts de ces entreprise­s à statut qui passeraien­t de 11,8% en moyenne aujourd’hui à 13,49% ce qui représente 438 millions de francs. Ce n’est donc pas un cadeau qu’on leur fait! Pour compenser les pertes liées sur les autres entreprise­s, des mesures d’accompagne­ment sont prévues. Elles permettron­t de financer des projets concrets. Tant la Fédération des entreprise­s romandes que la Chambre genevoise de commerce, d’industrie et des services de Genève sont prêtes à accepter un prélèvemen­t de 0,22% sur la masse salariale plafonnée. Les partis, eux, devront accepter de voter des budgets déficitair­es pendant une période déterminée.

Doit-on comprendre que les projets de loi sur des baisses d’impôts déposés par le PLR sont des gesticulat­ions politiques?

Non, mais il faut d’abord réaliser PF17. La gauche n’a cessé d’attaquer au Grand Conseil en déposant plusieurs projets de loi, contre le bouclier fiscal notamment, le PLR se devait d’agir. Il faudra à terme supprimer ou au moins baisser l’impôt sur la fortune qui, à 1%, est le plus élevé de Suisse, afin d’éviter que les gros contribuab­les ne partent. La baisse de 5% linéaire sur les personnes physiques touchera tout le monde. Elle est importante pour la classe moyenne et pas seulement pour les 7% de la population qui assurent 50% des revenus fiscaux, et qu’on doit impérative­ment conserver à Genève pour maintenir les prestation­s à la population.

Vous insistez souvent sur la nécessité d’un Etat prestatair­e de services. Les économies ne sont pas une priorité? Elles sont nécessaire­s car on a une crise des charges. Mais ma priorité est la prestation, qui ne doit pas être péjorée. Il ne s’agit pas de supprimer à tout va, mais de simplifier l’Etat, de le rendre plus efficient pour le bien des citoyens.

Le recentrage du Grand Conseil opéré par les électeurs vous rend-il confiante pour débloquer les dossiers?

Je suis d’un naturel optimiste. Mais avec 48 sièges, la droite n’a toujours pas de majorité. Je crains que le MCG même très affaibli ne soit à nouveau un parti pivot. Sa responsabi­lité en tant que parti gouverneme­ntal sera grande.

Si vous êtes élue au Conseil d’Etat, parviendre­z-vous à vous imposer face à votre collègue de parti Pierre Maudet?

Oui. Pierre Maudet est un leader, un meneur, un allié absolument idéal. Je pourrai compter sur son appui et il pourra compter sur le mien. Mais je ne suis pas une marionnett­e. On ne me dicte ni mes combats ni mes votes. Je suis une femme de décisions, j’en ai pris, et des cruciales, dans ma vie personnell­e comme en politique. Mes conviction­s sont parfaiteme­nt en phase avec celles de Pierre Maudet, et si cela ne devait pas être le cas sur un point ou un autre, on arbitrera.

Porterez-vous des combats en faveur des femmes?

L’égalité salariale, sans aucun doute. Il n’y a absolument aucune raison pour qu’elle ne soit pas réalisée. Si je siégeais au Conseil des Etats, jamais je n’aurais refusé, comme l’a fait la droite, la transparen­ce salariale imposée. C’est également la responsabi­lité des employeurs de s’assurer que cette égalité existe. Ce n’est pas à chaque femme d’attaquer judiciaire­ment son employeur.

Avez-vous déjà demandé une augmentati­on de salaire?

Non, je n’en ai jamais réclamé. D’abord parce que j’estime que mon salaire est correct. Ensuite parce que, lorsque vous postulez à 40 ans sans avoir jamais travaillé, vous êtes infiniment reconnaiss­ante d’être engagée. Par contre, j’en ai obtenu une il y a quelques années, à la suite de contrôles internes sur la question de l’égalité.n

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(MARK HENLEY/PANOS PICTURES) Nathalie Fontanet, candidate au Conseil d’Etat genevois sur la liste de l’Entente.
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(COLLECTION PRIVÉE) 2016, devant les membres de mon parti pour l’investitur­e de candidate au Conseil d’Etat. J’ai énormément de plaisir à mener cette campagne. C’est intense, les nuits sont courtes. Je me lève à 5 heures du matin pour préparer mes journées. Il faut...
 ?? (COLLECTION PRIVÉE) ?? 1991, à la maison, avec mes trois filles, Mélanie, Stéphanie et Aurélie, qui venait de naître.
(COLLECTION PRIVÉE) 1991, à la maison, avec mes trois filles, Mélanie, Stéphanie et Aurélie, qui venait de naître.
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(COLLECTION PRIVÉE) 2007, lors de la campagne électorale en ville de Genève, avec Anne-Marie von Arx et Pierre Maudet. J’ai beaucoup aimé mes années au Municipal. Les élus abordent des questions qui touchent directemen­t le quotidien des gens: installer des bancs dans des...

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