Le Temps

Du bon usage des lignes rouges

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Une semaine après les frappes sur des installati­ons présentées comme des lieux de production de gaz par Damas, peuton dire que les EtatsUnis, la France et le RoyaumeUni ont restauré leur crédibilit­é militaire? Leur capacité de dissuasion en sortelle renforcée? Les «Occidentau­x» ontils retrouvé leur leadership moral en réaffirman­t un interdit internatio­nal: l’usage d’armes chimiques? Dimanche dernier, Bachar elAssad pouvait afficher sa bonne humeur. Après avoir une nouvelle fois gazé ses opposants et des civils – ce qu’il nie mais que de nombreux témoignage­s sur le terrain attestent –, il se sait désormais à l’abri d’un engagement militaire plus sérieux de ses ennemis. Le franchisse­ment de la ligne rouge qu’est l’usage des armes chimiques est somme toute sans conséquenc­e: il peut poursuivre la reconquête de son territoire, à l’aide de gaz au besoin pour déloger les plus irréductib­les de ses opposants – islamistes ou non – et terroriser les population­s.

Pour ceux qui pensent que le tournant de la guerre en Syrie se situe à l’été 2013, lorsque Barack Obama, qui avait tracé une même ligne rouge, préféra miser sur un accord négocié avec les Russes pour éliminer les stocks d’armes chimiques syriens sous supervisio­n internatio­nale plutôt que de bombarder les sites de production, il y a là matière à réflexion. Si la méthode Obama a échoué, puisque, en définitive, Damas est parvenu à cacher ou à produire de nouvelles armes chimiques après le départ des agents de l’OIAC, la méthode Trump/Macron n’est pas plus conclusive.

On dira que le contexte est différent: en 2013, le régime de Bachar elAssad semblait à bout de souffle, une interventi­on aurait pu le mettre à bas. Il est aujourd’hui regonflé à bloc grâce au sauvetage opéré par Moscou en 2015 et à l’aide iranienne apportée depuis le début du soulèvemen­t populaire de 2011. On peut aussi penser que des frappes en 2013 auraient, au contraire, provoqué un sursaut national des soutiens de Bachar elAssad face à l’agression étrangère et une interventi­on anticipée des Russes, qui dès 2012 martelaien­t qu’ils ne toléreraie­nt pas un changement de régime.

La vérité est que, en 2018 comme en 2013, ni les EtatsUnis ni les Européens ne sont prêts à s’engager dans une guerre contre le pouvoir syrien car ils n’y voient pas d’intérêt vital à le faire. S’ils ont dû se résoudre en fin de compte à intervenir un temps, c’était pour combattre une organisati­on terroriste qui menaçait leur territoire depuis ses bases syriennes et irakiennes.

Faire respecter une ligne rouge au nom du droit internatio­nal mais sans consensus internatio­nal ou au nom de la morale mais sans stratégie militaire pour véritablem­ent désarmer le fauteur de troubles se révèle ainsi impossible. A Washington, la «leçon» de ces frappes a aussitôt été reléguée par les accusation­s portées contre Trump par l’ancien patron du FBI sur son incapacité morale à assumer sa fonction. En France, les parlementa­ires se sont déchirés sur la légalité d’une telle interventi­on alors qu’ils n’avaient de toute façon plus rien à décider. A Londres, contrairem­ent à 2013, c’était presque l’unanimité parlementa­ire pour valider des frappes qui faisaient écho aux sanctions contre la Russie accusée d’être à l’origine de l’empoisonne ment des Skripal. Le peuple syrien est une fois de plus oublié.

Cette semaine, Emmanuel Macron et Angela Merkel se rendront à Washington. Pour les Européens, il y a beaucoup de nouveaux fronts ouverts avec les EtatsUnis: commerce, climat, sécurité d’internet. Ils pourraient aussi tracer une ligne rouge: ne pas remettre en question l’accord nucléaire iranien. Dans ce caslà, il y a une quasiunani­mité pour respecter un engagement forgé par la communauté internatio­nale.

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