Du bon usage des lignes rouges
Une semaine après les frappes sur des installations présentées comme des lieux de production de gaz par Damas, peuton dire que les EtatsUnis, la France et le RoyaumeUni ont restauré leur crédibilité militaire? Leur capacité de dissuasion en sortelle renforcée? Les «Occidentaux» ontils retrouvé leur leadership moral en réaffirmant un interdit international: l’usage d’armes chimiques? Dimanche dernier, Bachar elAssad pouvait afficher sa bonne humeur. Après avoir une nouvelle fois gazé ses opposants et des civils – ce qu’il nie mais que de nombreux témoignages sur le terrain attestent –, il se sait désormais à l’abri d’un engagement militaire plus sérieux de ses ennemis. Le franchissement de la ligne rouge qu’est l’usage des armes chimiques est somme toute sans conséquence: il peut poursuivre la reconquête de son territoire, à l’aide de gaz au besoin pour déloger les plus irréductibles de ses opposants – islamistes ou non – et terroriser les populations.
Pour ceux qui pensent que le tournant de la guerre en Syrie se situe à l’été 2013, lorsque Barack Obama, qui avait tracé une même ligne rouge, préféra miser sur un accord négocié avec les Russes pour éliminer les stocks d’armes chimiques syriens sous supervision internationale plutôt que de bombarder les sites de production, il y a là matière à réflexion. Si la méthode Obama a échoué, puisque, en définitive, Damas est parvenu à cacher ou à produire de nouvelles armes chimiques après le départ des agents de l’OIAC, la méthode Trump/Macron n’est pas plus conclusive.
On dira que le contexte est différent: en 2013, le régime de Bachar elAssad semblait à bout de souffle, une intervention aurait pu le mettre à bas. Il est aujourd’hui regonflé à bloc grâce au sauvetage opéré par Moscou en 2015 et à l’aide iranienne apportée depuis le début du soulèvement populaire de 2011. On peut aussi penser que des frappes en 2013 auraient, au contraire, provoqué un sursaut national des soutiens de Bachar elAssad face à l’agression étrangère et une intervention anticipée des Russes, qui dès 2012 martelaient qu’ils ne toléreraient pas un changement de régime.
La vérité est que, en 2018 comme en 2013, ni les EtatsUnis ni les Européens ne sont prêts à s’engager dans une guerre contre le pouvoir syrien car ils n’y voient pas d’intérêt vital à le faire. S’ils ont dû se résoudre en fin de compte à intervenir un temps, c’était pour combattre une organisation terroriste qui menaçait leur territoire depuis ses bases syriennes et irakiennes.
Faire respecter une ligne rouge au nom du droit international mais sans consensus international ou au nom de la morale mais sans stratégie militaire pour véritablement désarmer le fauteur de troubles se révèle ainsi impossible. A Washington, la «leçon» de ces frappes a aussitôt été reléguée par les accusations portées contre Trump par l’ancien patron du FBI sur son incapacité morale à assumer sa fonction. En France, les parlementaires se sont déchirés sur la légalité d’une telle intervention alors qu’ils n’avaient de toute façon plus rien à décider. A Londres, contrairement à 2013, c’était presque l’unanimité parlementaire pour valider des frappes qui faisaient écho aux sanctions contre la Russie accusée d’être à l’origine de l’empoisonne ment des Skripal. Le peuple syrien est une fois de plus oublié.
Cette semaine, Emmanuel Macron et Angela Merkel se rendront à Washington. Pour les Européens, il y a beaucoup de nouveaux fronts ouverts avec les EtatsUnis: commerce, climat, sécurité d’internet. Ils pourraient aussi tracer une ligne rouge: ne pas remettre en question l’accord nucléaire iranien. Dans ce caslà, il y a une quasiunanimité pour respecter un engagement forgé par la communauté internationale.
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