Initiatives populaires et balivernes
Condorcet aimait à citer la phrase de Voltaire: «On dit que je me répète; eh bien, je me répéterai, jusqu’à ce qu’on se corrige.» La voie étant ouverte, répétons-le: notre système d’initiative populaire a besoin de garde-fous pour éviter d’être détourné de son objectif premier qui est de consolider notre démocratie. Aujourd’hui, nous sommes amenés à voter sur toutes sortes de textes qui jouent l’avenir de notre pays à pile ou face. On peut se demander comment et pourquoi ils sont arrivés au stade d’un vote constitutionnel.
Dernier exemple en date, l’initiative «Monnaie pleine» sur laquelle nous nous prononcerons le 10 juin. En bref, l’initiative prévoit d’attribuer à la seule BNS la création de monnaie scripturale et de crédit, par exemple en obligeant les banques commerciales à garantir leurs comptes courants par des avoirs similaires auprès de la banque centrale. Comme le disent les initiants sur leur site: «La monnaie pleine est géniale et Swiss.»
Ah bon? C’est surtout absurde et terriblement dangereux. Les conséquences seraient une centralisation des décisions économiques autour de la BNS, la mise sous tutelle du système bancaire, une raréfaction du crédit, une hausse des taux d’intérêt et surtout un effet de dominos sur le reste du système financier dont il est impossible d’envisager toutes les conséquences.
Aujourd’hui, ni le Conseil fédéral, ni le parlement, ni les partis politiques, ni la plupart des experts ne soutiennent une telle initiative. Aucun pays n’a testé ou proposé un tel système. De plus, sa complexité est telle que bien peu de personnes la comprennent. Mais nous allons quand même voter. Comment en sommes-nous arrivés là?
Scène de marché: «Bonjour Madame, excusez-moi de vous déranger dans vos courses mais seriez-vous prête à signer notre initiative «Monnaie pleine»? – Mais avec plaisir mon bon Monsieur; en effet, cela faisait longtemps que je me posais la question de la gestion de la masse monétaire par la BNS et de l’effet pervers et systémique de la création de monnaie scripturale par les banques commerciales.» Et hop, une signature de plus.
Est-ce vraiment crédible? Notre système d’initiative populaire est un des fondements de notre démocratie et doit être préservé. Mais il doit aussi être réformé. Tout d’abord en augmentant le nombre de signatures requises (ce que proposent plusieurs parlementaires). Depuis 1891, nous avons eu 206 initiatives populaires. A l’époque, il fallait 8% du corps électoral pour aboutir, aujourd’hui moins de 2% suffit.
Ensuite, en créant une commission neutre qui garantit l’exactitude du titre de l’initiative et de l’analyse des conséquences politiques, économiques et sociales. Finalement, en introduisant au niveau fédéral le principe de l’initiative législative que connaissent de nombreux cantons. Par exemple, l’initiative dite «Pour les vaches à cornes» a abouti l’année dernière. Le sujet est important, bien sûr, mais est-il de rang constitutionnel?
Ce n’est pas faire avancer la démocratie que de soumettre au peuple des initiatives au titre alléchant, à l’argumentaire «y a qu’à, c’est tout simple» mais qui sont incompréhensibles par leur complexité ou imprévisibles par leurs conséquences. Tout le monde se méfierait de quelqu’un qui vous propose 20% d’intérêt sur votre épargne grâce à un système auquel personne n’a jamais pensé avant. Pourquoi le faire avec notre Constitution? Quant à la complexité, c’est la raison pour laquelle nous avons une démocratie représentative avec un parlement et des commissions expertes pour légiférer au mieux.
Un des plus grands avantages compétitifs de la Suisse est un système stable qui est le résultat de décennies d’efforts, de concertations et de compromis. Cette prévisibilité nous est enviée par le monde entier. Mais comment expliquer à nos amis étrangers ce terrible petit secret: nous pouvons aussi changer notre Constitution et tout l’édifice économique et social du pays sur un coup de tête dominical et avec moins de 50% du corps électoral?
Notre système d’initiative populaire est notre force mais aussi notre talon d’Achille. Il doit être réformé pour maintenir sa raison d’être. Comme le disait Benjamin Franklin: «Même un petit trou peut couler un grand bateau!»
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