Kendrick, un Pulitzer fort en symboles
Dans une interview accordée il y a quelques années au Figaro, le metteur en scène Peter Sellars parlait de Mozart comme de l’inventeur de l’opéra politique: «Dans Les noces de Figaro, […] Figaro est exactement au même niveau que son maître, le Comte. La musique ne diffère pas de l’un à l’autre, leur chant est à égale qualité.» Mais deux siècles auparavant, à en croire l’historien allemand Udo Bermbachde, les oeuvres de Monteverdi avaient déjà une indéniable dimension politique. Tout ça pour dire que musique et politique ont toujours, ou du moins souvent, avancé de concert. Sans mauvais jeu de mot.
Le rock, dès ses débuts, était politisé, se posant en contre-culture, aspirant à faire imploser le conservatisme ambiant. Plus tard, le punk aura le même désir. Tout comme le courant psychédélique né durant ce Summer of Love dont on célébrait l’été dernier les cinquante ans. Une musique, quelle qu’elle soit, dit quelque chose de la société qui l’a engendrée. C’est vrai pour l’afrobeat, la bossanova, le tango nuevo, la disco. Et parfois, plus qu’un rejet du passé, une envie de rupture, un courant musical s’accompagne d’un véritable combat. Remonter aux origines du blues, c’est se plonger dans l’histoire de l’esclavagisme. Né un siècle plus tard, le rap sera un autre moyen pour la culture afro-américaine de se faire entendre. Tout ça pour en arriver là: Kendrick Lamar s’est vu décerner cette semaine le Pulitzer Price for Music.
Le Californien, auteur l’an dernier d’un album – DAMN. – stupéfiant par la manière dont il explose les codes du hip-hop, est le premier rappeur à avoir cet honneur. Jusque-là, seuls des personnalités issues du jazz et du classique avaient reçu un Pulitzer. Cette consécration est celle d’un artiste, mais aussi, plus globalement, celle des musiques urbaines. Elle rappelle le pouvoir contestataire du rap, né dans les ghettos comme jadis le blues venait des champs de coton. DAMN. est le reflet d’une époque troublée, scrute avec acuité l’Amérique rétrograde de Trump et les maladies qui rongent les démocraties, puise dans le jazz pour affirmer ce que le genre le plus écouté du monde doit à la culture afro-américaine.
A l’instar du Nobel de littérature remis en 2016 à Dylan, ce Pulitzer a provoqué autant d’enthousiasme que de commentaires outrés. Il affirme la puissance des musiques dites populaires. Il était temps. Springsteen et Neil Young auraient mérité tel honneur avant Kendrick Lamar, tout comme, pour en revenir au rap, Mos Def ou
Nas. Reste à espérer que cette ouverture ne reste pas une parenthèse unique.