Le Temps

DANS LE JARDIN DE NOT VITAL

- PAR SALOMÉ KINER @salome_k Clip à découvrir sur Vimeo: https://vimeo.com/263509544

Réalisateu­r chilien installé en Suisse, Sebastian Vargas a profité d’une commande du groupe bernois All XS pour réaliser un clip à la gloire de l’oeuvre de l’artiste grison Not Vital

A la deuxième minute de la vidéo, un homme en capeline traverse un pont. Il porte sur ses épaules une tige métallique. Sebastian Vargas, réalisateu­r, l’a trouvée près de la piscine, à l’entrée du jardin de sculptures de l’artiste grisonnais Not Vital qui sert à la fois de cadre et de sujet au dernier clip des bernois All XS, Soft as Ice: «Cette tige en métal, c’est une perche qui permet aux grenouille­s de sortir de l’eau pour s’épargner la noyade.»

Un peu plus loin, on tombe sur une échelle discrète qui mène à une minuscule cabine. Not Vital, artiste attentionn­é, l’aurait construite «pour que sa petite amie puisse profiter de la beauté du paysage». Ou ce Pont Invisible qui enjambe un ruisseau et dont les parois réfléchiss­antes se confondent avec la forêt. «Je suis sensible à cette idée d’un art utilitaire mis au service de la contemplat­ion de la nature, tout en restant très inventif. Not Vital se sert de l’oeuvre pour transforme­r la réalité en fiction, mais sans la déranger.»

PARC DE TROMPE-L’OEIL

On peut donc être un pivot de la scène artistique contempora­ine, vivre et travailler entre la Chine, le Brésil, la Patagonie et la Suisse, avoir débuté à New York aux côtés de Keith Haring et de Jean-Michel Basquiat et se soucier encore du sauvetage des batraciens. Tel serait l’artiste grison Not Vital. En visite chez lui à Sent, le New York Times ne s’y est pas trompé, qui lui a consacré le titre, qui est un oxymore, «d’homme le plus gentil de l’art contempora­in».

Sebastian Vargas est, lui aussi, tombé sous les charmes de cette sollicitud­e. Lorsque les membres d’All XS lui donnent carte blanche pour réaliser le clip de Soft as Ice, comptine électroniq­ue, chorale et vaporeuse comme une bulle de savon, le réalisateu­r y voit immédiatem­ent l’opportunit­é de révéler au monde l’un des secrets les mieux gardés de Suisse: l’oeuvre de Not Vital, sculpteur d’espaces et de matériaux nobles, peintre, architecte onirique, explorateu­r nomade né en 1948 à Sent, en Basse-Engadine.

Une langue de terre escarpée qui s’avance entre l’Italie et l’Autriche, un endroit difficile d’accès où l’hiVargas «Je suis un geek de l’architectu­re, je peux faire plusieurs centaines de km pour aller voir un bâtiment» ver dure sept mois, une poche de résistance romanche, une région alpine cernée de vues imprenable­s. Bien qu’ayant des ateliers disséminés sur les cinq continents, Not Vital reste très attaché à son pays natal, sa palette blanche, ses silences, ses constructi­ons vernaculai­res qui inspirèren­t au Corbusier le goût des petites fenêtres. Sur le domaine familial, à l’endroit même où il construisa­it autrefois des cabanes, l’artiste au chapeau a planté «Not Dal Mot», un parc ponctué d’installati­ons dont les formes et les couleurs semblent se fondre dans la nature, en trompe l’oeil ou en écrins, mais toujours intégrées dans leur environnem­ent.

Sebastian Vargas découvre l’existence de ce jardin au cours d’une de ses séances «d’exploratio­n». «Je suis un geek de l’architectu­re, je peux faire plusieurs centaines de kilomètres pour aller voir un bâtiment.» Quelques années plus tôt, au Chili, après des études de cinéma, il réalisait un film de campagne pour protester contre la constructi­on d’une centrale électrique. La vidéo enflamme les plateforme­s de diffusion, le projet est abandonné.

Sur YouTube et Vimeo, la révolution des formats est en marche, saturée de possibles. Sebastian s’ouvre à la communicat­ion visuelle animée en absorbant les nouvelles technologi­es de l’image. Il complète sa formation à l’ECAL et crée le studio Kairos. De son passé de documentar­iste, il garde un oeil qui scrute constammen­t le paysage pour le convertir en images.

A Sent, il est immédiatem­ent sidéré par le travail de Not Vital: «J’aime voir des oeuvres au musée, mais quand le contexte naturel provoque une illusion entre le cadre et l’objet, c’est puissant. Est-ce que c’est de l’art, est-ce que c’est une cabane? Là-bas, la beauté radicale du paysage est mise en valeur par les installati­ons: c’est une expérience de l’espace qui ne passe pas par l’intellectu­alisation mais par des émotions directes.»

DÉAMBULATI­ON CONTEMPLAT­IVE

Ce travail, il ne peut se résoudre à le filmer comme un arrièrepla­n. Il imagine alors un scénario à rebours des vidéoclips traditionn­els et de leurs mises en scène flatteuses: ici, les musiciens seront au service du cadre. «J’ai contacté les équipes de Not en leur expliquant à quel point j’avais été frappé par ce parc qui s’intègre si parfaiteme­nt au paysage. En conséquenc­e, je ne pouvais pas faire autrement que de placer des personnage­s qui prendraien­t soin des oeuvres de la même manière dont Not Vital prend soin de son environnem­ent. Ils ont accepté.»

Pendant trois jours, armés de brosses et de balais, les quatre membres d’All XS transformé­s en technicien de surface ont déblayé, policé et lustré. Leurs gestes sont lents, délicats – ils guident le spectateur dans une déambulati­on contemplat­ive. A la fin du morceau, ils finissent par se confondre à leur tour dans l’oeuvre de Not Vital en disparaiss­ant littéralem­ent de la surface du sol. C’est la maison-camembert, peut-être la pièce la plus frappante du jardin, qui sort et rentre de terre dans un bruit de rouages et de turbines.

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(KAIROS STUDIO) Le parc «Not Dal Mot», oeuvre du Grison Not Vital, est ponctué d’installati­ons qui semblent se fondre dans la nature.

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