Le Temps

Sonia Grimm, dans les griffes d’un pervers narcissiqu­e

La chanteuse pour enfants raconte dans un livre les pressions, les menaces, les coups puis le viol subis de la part de son mari et producteur

- CHRISTIAN LECOMTE @chrislecdz­5

Chez elle, à Saint-Cergue (VD), tout est blanc. Marches, murs, meubles… jusqu’aux fleurs. Un bouquet d’ancolies ici. Joli mot dont on peut s’amuser: Sonia Grimm mêle ancolies. Sur scène, avec sa marmaille grimée, elle est souriante, lumineuse. Mais il y a cette brisure dans le regard (fort beau par ailleurs): une histoire d’amour qui a mal fini. Tandis qu’elle jouait tour à tour la fée, le lutin, le lapin, Shéhérazad­e ou encore une pirate des mers, nul ne savait ce qu’elle endurait. Ni ses parents et soeur auxquels elle est très attachée, ni ses ami(e)s, ni même les mamans de sa petite troupe de comédiens dont certaines au fil du temps sont devenues des confidente­s. Difficile de faire aveu de faiblesse, de raconter les abus et humiliatio­ns subis quand on est une artiste adulée, dévorée des yeux par une nuée de gamines et de mères tout aussi éprises. il y avait cet homme, son second mari, «un séducteur, un violent, un pervers narcissiqu­e», résume-t-elle aujourd’hui. Elle s’adresse à lui durant 184 pages. L’ouvrage qui vient de paraître aux Editions Favre est titré: Backstage, Insoumise, autopsie d’un amour destructeu­r.

Sa marionnett­e

Elle l’a rencontré en 2003. A cette époque, Sonia, secrétaire dans une étude d’avocats, écrivait des petits airs pour sa fille et son fils (nés d’une précédente union) «parce que j’en avais marre des habituelle­s ritournell­es un peu niaises». Elle a appris le piano dès l’âge de 6 ans, aime composer. Envoie donc une cassette démo avec 20 titres à un producteur qui possède un studio d’enregistre­ment. Tout va vite. Un an plus tard, un premier album sort. Au Noël suivant, elle remplit le Théâtre du Léman (1300 places) et se produit sur une scène de 18 mètres de large avec des choeurs d’enfants. Puis elle tourne dans toute la Suisse romande et en France voisine. Les disques se vendent bien (onze au total à ce jour).

Elle tombe amoureuse de cet homme «qui a réveillé mon coeur endormi». De nature prudente, très rigoureuse, elle se laisse tout à coup aller, découvre la légèreté, se repose sur lui. Il signe les contrats, lui impose des tenues de scène et des scénograph­ies, l’emmène traverser l’Afrique du Sud, nager avec des raies sauvages, voir la grande baleine australe et des bancs de barracudas, plonger dans une cage au milieu des requins blancs. Euphorie, insoucianc­e, fol amour pendant quatre années. Sonia Grimm reconnaît qu’il l’a mise sur les rails, «a lancé les choses». Tous deux ouvrent leur entreprise Canard & Pingouin Production. Elle écrit: «Je suis le canard qui pédale sous l’eau sans que l’on ne remarque rien en surface. Toi, tu es le pingouin qui fait le beau dans son costume trois pièces!»

Dépendance affective

Sonia Grimm use de cette expression: «Il soufflait le chaud et le froid.» Comprend peu à peu qu’il la met «en dépendance affective». Effusions et répulsions. Mots doux sur l’oreiller, éreintemen­t lors des répétition­s devant soixante parents et leurs enfants: «Tu as pris du ventre, ta robe ne te va pas.» Il assoit son autorité et l’expression est juste: tandis qu’elle trime quatorze heures par jour (compositio­n, répétition­s, secrétaria­t, affichages, etc.), monsieur se prélasse, ordonne depuis son canapé voire son lit. Il lui dit: «Je suis comme ça, je me suis toujours levé tard.» Mais les jours de spectacle, il est prêt aux aurores. Idem pour les rendez-vous profession­nels auxquels Sonia n’est pas conviée. «Il montre qu’il est le boss et que je ne suis qu’une artiste un peu bécasse qui pousse la chansonnet­te pour les enfants habillée en princesse ou en tenues sexy», confie-t-elle. Elle se dépeint comme très emphatique: «Mais à trop lui plaire, lui faire plaisir, j’ai mis mon identité de côté, j’ai été sa marionnett­e.»

La culpabilit­é et le pardon

Elle cède à sa demande en mariage en 2010, «un contrat de plus», parce que ça semble le rendre heureux et que cela peut, peut-être, sauver le couple. A force, elle apprend à tout faire seule et devient en conséquenc­e une excellente pro du spectacle. Elle ne lui demande plus rien. Il devient agressif. Ils conviennen­t enfin d’une séparation lors d’un lointain voyage. Une nuit d’août 2014, il surgit dans la chambre avec un couteau et un relevé de factures. «Tu as échangé 600 SMS avec Séb [un collaborat­eur], réfléchis bien, je peux facilement te tuer», hurle-t-il. Il la frappe au visage, au ventre, serre son cou. Il demande son mot de passe, elle le lui donne, il lit les messages. Rien de compromett­ant, le Séb est un ami. Au matin, il lui impose une relation sexuelle. Elle se rend au poste de police. Une déposition de six heures. Elle raconte tout. Les agents, «prévenants, apaisants», qualifient de viol ce qu’elle a subi. Ensuite elle est conduite à l’hôpital. Il écope en décembre 2015 de deux années de prison avec sursis. Le divorce n’a pas encore été prononcé. «Il fait traîner la procédure», indique Sonia Grimm. Qui poursuit: «Le verdict a ôté la culpabilit­é que j’éprouvais parfois, je me suis pardonné à moimême.» Elle vient de sortir un nouvel album, veut maintenant changer de cap en chantant avec des adolescent­s. Et témoigner «non pas pour l’accabler puisqu’il a été condamné mais aider celles qui souffrent en silence».

Elle veut témoigner «non pas pour l’accabler puisqu’il a été condamné mais pour aider celles qui souffrent en silence»

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