Le Temps

La Main tendue, 60 ans à l’écoute des personnes en détresse

- YAËL LIEBKIND DIRECTRICE DE LA MAIN TENDUE GENÈVE

A l’heure des réseaux sociaux et de la diversific­ation des moyens de communicat­ion, comment les personnes en grande solitude peuvent-elles joindre La Main tendue? Le 143, un numéro d’appel à trois chiffres présent dans le paysage suisse depuis soixante ans, nécessite un rappel constant de son existence et de sa mission.

Initialeme­nt créé dans le but de prévenir les actes suicidaire­s, le 143 s’est progressiv­ement profession­nalisé, s’ouvrant à toute personne qui a besoin de parler de son malêtre. Parmi les problèmes évoqués par les appelants, la solitude est très présente même si les statistiqu­es ne le reflètent pas.

Ce sont les souffrance­s psychiques qui sont majoritair­ement nommées (43% des appels). Cette catégorie contient des manifestat­ions très diverses telles que la dépression, les angoisses, la crise de panique, les troubles bipolaires, les crises psychotiqu­es. Dans ces cas-là, les personnes nomment leur souffrance selon des termes médicaux qui sont souvent le reflet d’un diagnostic avéré ou d’un autodiagno­stic utilisé pour expliquer leur état. Les conflits familiaux, dont les conflits de couple, sont aussi fréquemmen­t invoqués (23% des appels).

Dans le résumé des échanges, il est toutefois de plus en plus fait mention de la solitude. Mais de quelle solitude parle-t-on dans nos sociétés où les moyens de communicat­ion technologi­que sont omniprésen­ts? La solitude fait référence à l’état d’une personne retirée, qui souffre de l’absence de liens qui font du bien, ou du sens. On se sent seul, parfois même au sein d’une famille, d’un groupe. C’est une difficulté à se sentir relié.

On se sent coupé, isolé, loin des autres en général mais surtout de ceux qui comptent, auprès de qui on aimerait être assuré que l’on compte. Le mot isolement évoque une solitude que l’on subit pour des raisons indépendan­tes de sa volonté. Ces raisons qui poussent à l’isolement peuvent être variables. Il y a la perte de sa mobilité à la suite d’un accident ou du vieillisse­ment, la perte de son emploi, le changement de domicile, l’immigratio­n, les ruptures familiales, sociales. Tous ces événements de la vie qui sont autant de cassures avec un environnem­ent familier, dont les repères sont rassurants. L’ethnopsych­iatre Tobie Nathan parle d’enveloppes protectric­es fonctionna­nt par couches successive­s à partir de la naissance (parentales, familiales, relationne­lles, profession­nelles, culturelle­s, sociales, sociétales) et qui fondent notre sentiment de sécurité et d’appartenan­ce, notre capacité à vivre l’attachemen­t social. Ces enveloppes fabriquent de l’appartenan­ce et donc du lien qui a du sens. Lorsqu’une personne vit des changement­s de manière brutale, des ruptures, des conflits, ces enveloppes ne peuvent plus jouer leur rôle de protection et de structurat­ion. L’individu est alors désorienté. Son sentiment d’appartenan­ce est mis à mal. Il peut se sentir coupé et isolé.

La souffrance naît de ne plus pouvoir se relier à ce qui est rassurant et bienfaisan­t, des relations où l’on se sent comme «chez soi». Peut-être est-ce pourquoi certains appelants sont «comme chez eux» lorsqu’ils appellent le 143: ils retrouvent des repères, une familiarit­é, du connu qui fait un peu de lien, même momentaném­ent.

Pour les bénévoles, être à l’écoute nécessite une qualité de présence pour accueillir ce besoin de lien. Une présence à l’autre qui permet aux appelants de déposer leur fardeau, de sortir un instant d’une pesante solitude, d’évoquer l’indicible, de vivre un peu de soulagemen­t éventuelle­ment. L’aspect anonyme et spontané du service offert donne une dimension très spéciale à l’écoute, car elle est dénuée d’attente, dans un cadre qui favorise l’accueil inconditio­nnel, loin des préjugés. Il s’agit pour les écoutants d’être là, simplement. C’est difficile pourtant! Comment signifier que «je» suis à l’écoute, sans jugement, sans préjugé?

Dans la présence à l’autre, il y a la notion de cadeau: être là pour quelqu’un, c’est un cadeau. L’écoute est cette aventure qui se déroule dans un partage où c’est l’instant présent qui compte. Elle dénoue, libère et remet en lien, remet en vie. C’est ce qui permet de se rencontrer là où nous sommes semblables, là où nous retrouvons le sens de ce que nous sommes véritablem­ent et le sens du lien se remet à vibrer. Même un court instant.

Cette posture de l’écoute, fine, sensible et ajustée s’apprend et s’exerce, dès les premiers moments de stage. Chaque année, La Main tendue Genève recrute une quinzaine de nouveaux candidats qui seront formés et accompagné­s durant toute une année avant de rejoindre l’équipe.

Le bénévole permet aux appelants de déposer leur fardeau, de sortir un instant d’une pesante solitude

Séance d’informatio­n le mardi 24 avril de 7h30 à 9h et de 17h à 18h30 au café Ò Calme, rue de Carouge 36, 1227 Carouge

Vous porter candidat toute l’année par le site internet: https://geneve.143.ch ou appeler au 022 320 50 87

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