«L’UE veut donner plus de cohérence à ses relations avec la Suisse»
Le ministre des Affaires étrangères espagnol, Alfonso Dastis, espère que la question de l’indépendance de la Catalogne ne troublera pas les relations entre Berne et Madrid
Question catalane, mais aussi relations bilatérales et rapports entre la Suisse et l’Union européenne… Berne et Madrid ont tant de choses à se dire que leurs chefs de la diplomatie en sont déjà à leur troisième rencontre depuis l’élection au Conseil fédéral d’Ignazio Cassis. Explications avec son collègue espagnol Alfonso Dastis, qui était lundi à Berne.
La Suisse et l’Espagne ont-elles tant de choses à débattre? Nous n’avions pas eu le temps de nous parler de manière profonde et posée. Notre conversation ici a porté autant sur les questions bilatérales que sur le thème de la Catalogne et sur ses répercussions potentielles, mais aussi sur la situation et les perspectives d’un accord entre la Suisse et l’Union européenne.
Précisément sur ce dernier thème, allez-vous vous faire l’interprète de la Suisse pour que sa position soit mieux comprise au sein de l’UE? Je pense que, au sein de l’UE, nous comprenons bien la Suisse. C’est un pays un peu particulier puisqu’il n’a pas voulu s’incruster dans les systèmes liés à l’UE et souhaite préserver son identité. L’UE est disposée à maintenir de fortes relations avec la Suisse mais elle tient à prendre, comme point de départ, ses propres normes et principes. Ce qu’elle souhaite aussi, c’est donner davantage de cohérence à cette relation et à toute la liste existante d’accords bilatéraux. Mais je pense que cette relation est tout à fait possible, comme elle est possible avec beaucoup d’autres pays non communautaires.
Y compris maintenant, dans le contexte du Brexit? C’est vrai que le Brexit menace de polluer d’autres questions. Il faut garder cette donnée à l’esprit, car elle pourrait en effet avoir un impact. Mais parfois, une issue peut aussi venir des difficultés. Si une solution est trouvée sur le Brexit – et tôt ou tard il y aura une solution –, on ne peut pas exclure que celle-ci puisse être transposée pour le cas de la Suisse.
Avez-vous évoqué la création d’un tribunal arbitral? Pas dans le détail. Mais de fait, c’est une solution qui est en train d’être explorée. Lorsqu’il s’agira d’interpréter le droit communautaire, on pourrait prendre en compte la jurisprudence du Tribunal de Luxembourg. La Suisse ne nous a pas demandé de soutien particulier sur cette question, mais Ignazio Cassis m’a exprimé son espoir de rencontrer à Bruxelles un peu de flexibilité, après que vont avancer les discussions techniques et qu’il sera nécessaire, à partir de cet été, d’y ajouter une certaine implication politique. Il est important de créer une complicité politique entre l’UE et la Suisse, ce qui ne doit pas être difficile étant donné que nous partageons les mêmes principes et valeurs. Je connais les caractéristiques de la Suisse en termes de démocratie directe, mais ensuite c’est aux hommes politiques de canaliser les votes populaires et de faire preuve de leadership.
La question catalane – et la présence à Genève de plusieurs personnalités indépendantistes – est-elle de nature à troubler cette relation? J’essaie d’expliquer que les indépendantistes catalans présentent une idée de l’Espagne qui n’est pas conforme à la réalité et qu’ils prétendent accomplir quelque chose qui ne serait jugé acceptable dans aucun pays de notre environnement. Ils prétendent décider seuls de l’avenir de toute l’Espagne et ce, sans respecter les lois et les procédés démocratiques. Ils ont
«Il faut espérer que la présence d’indépendantistes catalans en Suisse ne deviendra pas un problème» ALFONSO DASTIS
ainsi approuvé ce qu’ils ont appelé une «loi de transition», en ignorant la moitié des élus et sans même mettre la question à l’ordre du jour de la session parlementaire. Aller ensuite raconter que l’Espagne est un pays fasciste qui les poursuit pour des motifs politiques… cela n’est pas la réalité. Ne serait-ce que parce que ces groupes politiques sont aussi représentés au sein du parlement national. Cela dit, pour répondre à votre question, il faut espérer que cette présence que vous évoquez ne devienne pas un problème. Tant que ces personnes ne sont pas l’objet d’un ordre de détention ou d’une demande d’extradition, elles peuvent essayer de se débrouiller en Suisse ou dans n’importe quel pays de l’UE. Il est vrai que la situation est inconfortable, mais pour le moment, il n’y a aucune raison que cela affecte nos relations.
En maniant la matraque en Catalogne, l’Etat espagnol n’a-t-il pas définitivement perdu la guerre des images face aux indépendantistes? Je n’emploierais pas ce langage belliciste. Il a eu des images que nous aurions aimé ne pas voir mais l’usage de la force, de mon point de vue, n’a pas été délibéré. Il a été une réponse face à une multitude qui empêchait les forces de l’ordre d’accomplir la tâche dont l’avaient chargé les tribunaux. Ce que nous devons aujourd’hui démontrer, c’est que ces images ne reflètent pas le quotidien de l’Espagne, très loin de là.
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