Le Temps

Le Cloud Act et ses conséquenc­es

- ADRIEN THARIN AVOCAT SPÉCIALISÉ EN NOUVELLES TECHNOLOGI­ES

Une bataille judiciaire opposait depuis 2013 Microsoft et le gouverneme­nt américain: en cause, un mandat de perquisiti­on délivré par le gouverneme­nt visant à obtenir le contenu d’un compte e-mail dont les données étaient conservées dans un des nombreux centres d’hébergemen­t de Microsoft hors des EtatsUnis, en l’occurrence en Irlande. L’argument de Microsoft: un hébergemen­t de données à l’étranger est soumis au droit national où il est situé. L’enjeu en était le principe d’extraterri­torialité, soit le droit d’un Etat d’étendre l’applicatio­n de son droit au-delà de ses frontières. La Cour suprême avait décidé de se saisir de l’affaire et devait rendre une décision à la fin du mois de juin prochain.

La ratificati­on du Cloud Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act) le 23 mars dernier rend l’exercice inutile et le vide de sa substance. On remarque la manoeuvre (pour une fois) discrète de l’administra­tion Trump: le texte était noyé dans le vote du budget de l’Etat, un paquet législatif cossu (plus de 2000 pages). Celui-ci n’a pas été discuté. Le tour est joué. Désormais, les forces de police n’ont pas à se justifier (obtenir un mandat) pour obtenir des données de citoyens américains, peu importe leur lieu de conservati­on.

Cette loi permet également au président de conclure des accords d’échange de données sans l’approbatio­n du Congrès. Chose étrange, elle donnerait également aux Etats tiers la possibilit­é d’obtenir des données de leurs propres citoyens conservées aux EtatsUnis. Les associatio­ns de défense des consommate­urs craignent – à raison – que cela ne soit le théâtre d’abus, notamment de la part d’Etats étrangers ou de services de renseignem­ent étrangers (ce à quoi certains seraient tentés de répondre: ils n’ont semblet-il jusqu’ici pas eu besoin de cela). On craint également un renforceme­nt de l’Etat contre le particulie­r et une atteinte supplément­aire au respect de la vie privée, donc (partiellem­ent du moins) secrète.

Du côté européen, les entreprise­s du monde entier se demandent à quelle sauce elles seront mangées dès le 25 mai prochain, date d’entrée en vigueur du RGPD, le Règlement général sur la protection des données européen. Celui-ci (tout comme la nouvelle loi suisse sur la protection des données, actuelleme­nt à l’ouvrage) avait pourtant pour ambition de renforcer les droits des citoyens. Contre les géants du net certes mais également contre l’Etat. Réaction de la commissair­e européenne de la justice, Vera Jourova: «Le Congrès US a adopté le Cloud Act dans une procédure accélérée, ce qui réduit les chances de dégager une solution compatible entre les systèmes américain et européen.»

En effet, la Commission européenne a présenté le 17 avril dernier une propositio­n législativ­e de saisie de preuves électroniq­ues, dans le but de lutter contre le crime internatio­nal. A l’instar du Cloud Act américain, sa portée se veut globale, non strictemen­t circonscri­te au territoire de l’Union. Le projet comporte par ailleurs une obligation pour les applicatio­ns de messagerie et les services digitaux de fournir les données de leurs utilisateu­rs dans les dix jours, voire dans les six heures en cas d’urgence, notamment de danger imminent à la vie ou l’intégrité physique de personnes ou à une infrastruc­ture critique. Ces obligation­s concernent toute applicatio­n disponible sur les app stores accessible­s aux résidents de l’Union.

Ces évolutions ne doivent pas être perçues comme une surprise. L’ubiquescen­ce des données et leur caractère voyageur compliquen­t à l’évidence la tâche des autorités de poursuite judiciaire, lesquelles ne devraient pas se heurter au simple fait que des informatio­ns utiles se trouvent au-delà des strictes limites de notre territoire. Il faudra bien sûr un certain temps avant que les systèmes ne s’uniformise­nt, notamment par la conclusion d’accords d’échange d’informatio­ns. Les Etats se sont assez rapidement entendus en matière fiscale (certains sous la contrainte). On ne peut que s’attendre à ce qu’un effort similaire voie le jour en matière pénale. Américains et Européens finiront bien par s’accorder…

Désormais, les forces de police n’ont pas à se justifier (obtenir un mandat) pour récolter des données de citoyens américains, peu importe leur lieu de conservati­on

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