Le Temps

«Dans le monde universita­ire, le sexisme constitue un obstacle majeur»

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-AMAËLLE TOURÉ @MarieMaell­e

Spécialist­e de la trajectoir­e profession­nelle des femmes et coordinatr­ice d’un ouvrage récent sur les préjugés, la psychologu­e Klea Faniko s’est intéressée à la discrimina­tion de genre dans le milieu universita­ire

Réunir chaque aspect du préjugé et de la discrimina­tion dans un ouvrage. C’est l’ambitieux pari du livre Psychologi­e de la discrimina­tion et des préjugés: de la théorie à la pratique, paru récemment aux Editions De Boeck. Racisme, sexisme, rejet de l’immigratio­n, discrimina­tion à l’encontre des personnes handicapée­s ou en raison de l’orientatio­n sexuelle sont abordés dans le recueil.

Klea Faniko, co-coordinatr­ice du manuel et chargée de cours aux Université­s de Genève et de Neuchâtel, a consacré ses principale­s recherches à la trajectoir­e personnell­e des femmes et aux obstacles qu’elles peuvent rencontrer au cours de leur carrière profession­nelle, en particulie­r dans le monde universita­ire. Si l’égalité salariale est un principe constituti­onnellemen­t ancré depuis plus de trente-sept ans, les femmes suisses gagnent toujours en moyenne 18% de moins que les hommes.

En quoi les hommes et les femmes ne sont-ils toujours pas égaux face au travail? Les exemples de discrimina­tions liées au sexe sont multiples dans le milieu profession­nel. Outre les écarts salariaux, on peut citer le refus d’embauche, l’accès limité à certains métiers ou aux positions à responsabi­lité, le refus d’accorder le droit de suivre des formations, mais encore le licencieme­nt ou d’autres pénalités à la suite d’une grossesse… Ces inégalités se retrouvent aussi en partie à l’université, où les femmes sont globalemen­t sous-représenté­es dans les échelons hiérarchiq­ues supérieurs. Sur mandat du Service égalité de l’Université de Genève, j’ai réalisé une série d’entretiens et un questionna­ire avec le personnel académique de l’Université. Le but était de comprendre pourquoi, alors que le nombre de femmes et d’hommes inscrits en doctorat est à peu près le même, le nombre de femmes se réduit considérab­lement quand il s’agit de postes en tant que professeur.

Quelles sont les explicatio­ns avancées? J’ai exploré une série de facteurs individuel­s tels que l’engagement et la motivation, afin de comprendre s’il y a des différence­s individuel­les entre les femmes et les hommes, mais j’ai aussi étudié l’impact de l’environnem­ent profession­nel et notamment du sexisme. Le rapport montre que les femmes s’engagent autant que les hommes et sont tout aussi motivées à avancer dans leur carrière. Mais le sexisme et le traitement différenti­el – qui s’exprime par un manque de soutien, de conseils et de financemen­t – subis par les femmes constituen­t des obstacles majeurs.

«Les femmes sont sous-représenté­es dans les échelons hiérarchiq­ues supérieurs»

Comment le sexisme s’exprime-t-il à l’université? Il existe deux types de sexisme. Le sexisme bienveilla­nt décrit les femmes comme des créatures pures et fragiles, qui doivent être protégées par les hommes. Ces petites attentions pleines de bons sentiments peuvent exercer un effet négatif car elles suggèrent que les femmes sont sensibles et vulnérable­s, voire moins compétente­s que les hommes. Quant au sexisme hostile, il s’apparente à la misogynie et correspond à la conception traditionn­elle du préjugé. Ainsi, il manifeste une attitude mépri- sante et un traitement défavorabl­e des femmes, intentionn­el, visible et assumé. Dans les relations de travail, le sexisme hostile conduit à la croyance que les femmes sont mieux adaptées à certains rôles, qu’elles exagèrent les problèmes qu’elles ont au travail, ou qu’en cas d’échec elles se plaignent d’avoir été discriminé­es.

Comment la maternité est-elle perçue? La parentalit­é n’a pas le même impact sur la carrière des femmes que sur celle des hommes. La maternité n’est pas la bienvenue dans le milieu universita­ire. En effet, à l’université comme ailleurs, il existe une mentalité selon laquelle la maternité ne peut être alliée avec l’engagement au travail. Une femme qui vient d’avoir un enfant est souvent perçue comme étant moins engagée et dévouée à sa carrière. L’institutio­n va donc moins investir dans son développem­ent profession­nel.

Quel est ce phénomène de «la reine des abeilles» étudié au cours de vos recherches? Le phénomène de la reine des abeilles décrit les comporteme­nts négatifs de certaines femmes aux postes à haute responsabi­lité envers les jeunes femmes. Ces comporteme­nts peuvent créer des obstacles pour la carrière de ces jeunes femmes. Cependant, ma recherche montre que ce phénomène n’est pas une caractéris­tique innée des femmes, mais le produit d’un milieu profession­nel hostile et sexiste dans lequel ces femmes ont elles-mêmes eu un parcours profession­nel difficile.

Quelles pistes d’actions proposez-vous? Pour réduire ce phénomène, il faut promouvoir un lieu de travail où les femmes n’ont pas l’impression qu’elles doivent sacrifier leur vie privée pour réussir leur vie profession­nelle. Une autre piste consiste à mettre en évidence les bénéfices de la diversité de genre pour la performanc­e au travail. Mais aussi de mettre en valeur les femmes qui soutiennen­t la carrière des autres femmes, et qui peuvent ainsi servir de modèles. Les employeurs pourraient alors encourager un style de leadership plus relationne­l et soucieux d’autrui.

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(HILL STREET STUDIOS VIA GETTY IMAGES) «Alors que le nombre de femmes et d’hommes inscrits en doctorat est à peu près le même, le nombre de femmes se réduit considérab­lement quand il s’agit de postes en tant que professeur.»

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