Le Temps

L’oligarque Deripaska met un genou à terre

Visé par les sanctions américaine­s, le magnat russe de l’aluminium cherche des débouchés pour écouler sa production. Les difficulté­s du fleuron industriel Rusal fait craindre le pire pour certaines régions dépendante­s de son activité

- ISABELLE MANDRAUD (LE MONDE)

Oleg Deripaska a un genou à terre. Désormais interdit d'accès au marché américain, après les sanctions prises par Washington le 6 avril, qui ont visé en particulie­r son entreprise, Rusal, un géant de l'aluminium, l'oligarque russe cherche désespérém­ent de nouveaux débouchés pour écouler sa production.

Des négociatio­ns ont été ouvertes avec la Chine, mais dans l'immédiat, chaque jour qui passe contraint le milliardai­re à trouver où stocker des tonnes de métal, les deux grands opérateurs du marché, le London Metal Exchange (LME) et le Comex, à New York, ayant décidé de lui fermer les portes de leurs entrepôts.

La valeur du groupe, deuxième producteur mondial d'aluminium coté à Hongkong, s'est effondrée. Quatre membres du conseil d'administra­tion de Rusal, tous étrangers, ont claqué la porte, dont le patron de Glencore, l'un de ses actionnair­es et principaux clients, qui a invoqué la clause de «force majeure».

Scénarios catastroph­es esquissés

La déroute d'Oleg Deripaska n'est pas seulement un séisme qui a provoqué une flambée des prix de l'aluminium. Elle a aussi, en partie, entraîné une baisse du rouble, déconnecté­e des cours du pétrole, et soulève, par ricochet, de vives inquiétude­s en Russie du fait de ses effets sur l'économie et l'emploi.

A elle seule, l'entreprise Rusal emploie 61000 salariés – russes à une très large majorité –, sans compter les sous-traitants. Plusieurs villes mono-industriel­les dépendent entièremen­t de son activité et, déjà, des scénarios catastroph­es sont esquissés. «Des sources proches de Rusal indiquent une possible réduction des effectifs de 10 à 15% dans les usines de Bratsk et d'Irkoutsk si l'entreprise ne parvient pas à vendre en Chine la part perdue dans les autres marchés», rapportait, vendredi 20 avril, l'agence Interfax. La ville de Bratsk, sise à 470 kilomètres au nord d'Irkoutsk, en Sibérie, possède sur son territoire l'une des usines les plus anciennes et les importante­s du groupe qui produit plus du tiers de l'aluminium russe.

Craintes des élus

Dans cette même région, où Oleg Deripaska se serait rendu récemment, la situation de Chelekhov est encore plus alarmante. L'économie de cette commune de 40000 habitants repose entièremen­t sur l'usine de Rusal – appelée l'usine d'Irkoutsk. Les élus locaux ont déjà fait part de leurs craintes dans la presse locale. «Nous sommes très préoccupés», déclare Vladimir Matienko, selon lequel plusieurs villes «dépendent plus qu'à moitié» de l'aluminium, y compris pour leurs «programmes sociaux».

Avec une fortune estimée à 3,8 milliards de dollars (3,7 milliards de francs), Oleg Deripaska, âgé de 50 ans, est l'un des plus gros industriel­s du pays. Il possède aussi des centrales électrique­s, des exploitati­ons agricoles, une usine automobile, plusieurs aéroports dans la région de Krasnoïars­k.

Beaucoup redoutent les conséquenc­es que font peser sur tout cet édifice les difficulté­s de son fleuron, Rusal, qui exportait jusqu'ici 17% de sa production aux Etats-Unis. «Il est temps de nationalis­er cette entreprise, de la racheter au prix minimal de son coût et de la relancer ensuite comme un projet d'investisse­ment public», a tonné Mikhaïl Chmakov, président de la Fédération des syndicats indépendan­ts.

L'état russe n'en a, semble-t-il, ni la volonté ni les capacités financière­s, mais, politiquem­ent, le Kremlin ne peut pas se permettre de laisser s'écrouler l'empire d'Oleg Deripaska, comparable, par son échelle, «à Boeing ou Johnson & Johnson» aux Etats-Unis, selon l'agence Bloomberg. La dépendance de certaines régions est bien trop forte avec, potentiell­ement, un risque de troubles sociaux d'autant plus redouté que Vladimir Poutine doit être officielle­ment réinvesti président de la Fédération de Russie, le 7 mai.

Gouverneme­nt sous pression

Chacun garde en mémoire son interventi­on de 2009, lorsque, premier ministre, il avait obligé des oligarques réunis à Pikaliovo, dans la région de Leningrad, à régler des arriérés de salaire, tandis que les manifestat­ions se succédaien­t. Parmi eux figurait un certain… Oleg Deripaska, humilié et contraint de signer, sous l'oeil des caméras, un contrat pour relancer une usine de ciment.

Cette fois, le magnat Viktor Vekselberg, lui-même visé par les sanctions américaine­s, est intervenu auprès du premier ministre, Dmitri Medvedev, lors d'une rencontre organisée le 17 avril avec l'Union des entreprene­urs et des industriel­s. Les difficulté­s de cet autre milliardai­re, qui se trouve à la tête d'un vaste congloméra­t dans l'énergie et l'industrie, sont, elles aussi, liées en partie à Rusal, dont il est l'un des actionnair­es. En février, Viktor Vekselberg avait racheté 6% des actions du groupe en plus de celles qu'il possède déjà avec son ancien partenaire Leonid Blavatnik, utilisées comme dépôt de garantie.

Au total, sept oligarques sont directemen­t concernés par les sanctions américaine­s, ainsi que 14 entreprise­s auxquelles le gouverneme­nt russe, sous pression, a promis son aide. Vendredi 20 avril, en marge de la réunion du Fonds monétaire internatio­nal (FMI) à Washington, le ministre russe de l'Economie, Anton Silouanov, a évoqué la création d'une structure destinée à soutenir les groupes sous sanction, qui ont évalué leurs besoins à 100 milliards de roubles (1,5 milliard de francs).

Politiquem­ent, le Kremlin ne peut pas se permettre de laisser s’écrouler l’empire du milliardai­re

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