L’oligarque Deripaska met un genou à terre
Visé par les sanctions américaines, le magnat russe de l’aluminium cherche des débouchés pour écouler sa production. Les difficultés du fleuron industriel Rusal fait craindre le pire pour certaines régions dépendantes de son activité
Oleg Deripaska a un genou à terre. Désormais interdit d'accès au marché américain, après les sanctions prises par Washington le 6 avril, qui ont visé en particulier son entreprise, Rusal, un géant de l'aluminium, l'oligarque russe cherche désespérément de nouveaux débouchés pour écouler sa production.
Des négociations ont été ouvertes avec la Chine, mais dans l'immédiat, chaque jour qui passe contraint le milliardaire à trouver où stocker des tonnes de métal, les deux grands opérateurs du marché, le London Metal Exchange (LME) et le Comex, à New York, ayant décidé de lui fermer les portes de leurs entrepôts.
La valeur du groupe, deuxième producteur mondial d'aluminium coté à Hongkong, s'est effondrée. Quatre membres du conseil d'administration de Rusal, tous étrangers, ont claqué la porte, dont le patron de Glencore, l'un de ses actionnaires et principaux clients, qui a invoqué la clause de «force majeure».
Scénarios catastrophes esquissés
La déroute d'Oleg Deripaska n'est pas seulement un séisme qui a provoqué une flambée des prix de l'aluminium. Elle a aussi, en partie, entraîné une baisse du rouble, déconnectée des cours du pétrole, et soulève, par ricochet, de vives inquiétudes en Russie du fait de ses effets sur l'économie et l'emploi.
A elle seule, l'entreprise Rusal emploie 61000 salariés – russes à une très large majorité –, sans compter les sous-traitants. Plusieurs villes mono-industrielles dépendent entièrement de son activité et, déjà, des scénarios catastrophes sont esquissés. «Des sources proches de Rusal indiquent une possible réduction des effectifs de 10 à 15% dans les usines de Bratsk et d'Irkoutsk si l'entreprise ne parvient pas à vendre en Chine la part perdue dans les autres marchés», rapportait, vendredi 20 avril, l'agence Interfax. La ville de Bratsk, sise à 470 kilomètres au nord d'Irkoutsk, en Sibérie, possède sur son territoire l'une des usines les plus anciennes et les importantes du groupe qui produit plus du tiers de l'aluminium russe.
Craintes des élus
Dans cette même région, où Oleg Deripaska se serait rendu récemment, la situation de Chelekhov est encore plus alarmante. L'économie de cette commune de 40000 habitants repose entièrement sur l'usine de Rusal – appelée l'usine d'Irkoutsk. Les élus locaux ont déjà fait part de leurs craintes dans la presse locale. «Nous sommes très préoccupés», déclare Vladimir Matienko, selon lequel plusieurs villes «dépendent plus qu'à moitié» de l'aluminium, y compris pour leurs «programmes sociaux».
Avec une fortune estimée à 3,8 milliards de dollars (3,7 milliards de francs), Oleg Deripaska, âgé de 50 ans, est l'un des plus gros industriels du pays. Il possède aussi des centrales électriques, des exploitations agricoles, une usine automobile, plusieurs aéroports dans la région de Krasnoïarsk.
Beaucoup redoutent les conséquences que font peser sur tout cet édifice les difficultés de son fleuron, Rusal, qui exportait jusqu'ici 17% de sa production aux Etats-Unis. «Il est temps de nationaliser cette entreprise, de la racheter au prix minimal de son coût et de la relancer ensuite comme un projet d'investissement public», a tonné Mikhaïl Chmakov, président de la Fédération des syndicats indépendants.
L'état russe n'en a, semble-t-il, ni la volonté ni les capacités financières, mais, politiquement, le Kremlin ne peut pas se permettre de laisser s'écrouler l'empire d'Oleg Deripaska, comparable, par son échelle, «à Boeing ou Johnson & Johnson» aux Etats-Unis, selon l'agence Bloomberg. La dépendance de certaines régions est bien trop forte avec, potentiellement, un risque de troubles sociaux d'autant plus redouté que Vladimir Poutine doit être officiellement réinvesti président de la Fédération de Russie, le 7 mai.
Gouvernement sous pression
Chacun garde en mémoire son intervention de 2009, lorsque, premier ministre, il avait obligé des oligarques réunis à Pikaliovo, dans la région de Leningrad, à régler des arriérés de salaire, tandis que les manifestations se succédaient. Parmi eux figurait un certain… Oleg Deripaska, humilié et contraint de signer, sous l'oeil des caméras, un contrat pour relancer une usine de ciment.
Cette fois, le magnat Viktor Vekselberg, lui-même visé par les sanctions américaines, est intervenu auprès du premier ministre, Dmitri Medvedev, lors d'une rencontre organisée le 17 avril avec l'Union des entrepreneurs et des industriels. Les difficultés de cet autre milliardaire, qui se trouve à la tête d'un vaste conglomérat dans l'énergie et l'industrie, sont, elles aussi, liées en partie à Rusal, dont il est l'un des actionnaires. En février, Viktor Vekselberg avait racheté 6% des actions du groupe en plus de celles qu'il possède déjà avec son ancien partenaire Leonid Blavatnik, utilisées comme dépôt de garantie.
Au total, sept oligarques sont directement concernés par les sanctions américaines, ainsi que 14 entreprises auxquelles le gouvernement russe, sous pression, a promis son aide. Vendredi 20 avril, en marge de la réunion du Fonds monétaire international (FMI) à Washington, le ministre russe de l'Economie, Anton Silouanov, a évoqué la création d'une structure destinée à soutenir les groupes sous sanction, qui ont évalué leurs besoins à 100 milliards de roubles (1,5 milliard de francs).
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Politiquement, le Kremlin ne peut pas se permettre de laisser s’écrouler l’empire du milliardaire