Le Temps

Robert De Niro, les silences magnifique­s

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Dans le cadre du célèbre festival new-yorkais, Robert De Niro était invité à converser avec Bradley Cooper. Peu loquace, le septuagéna­ire n’a pas oublié sa cible préférée: Donald Trump

Assis dans son fauteuil, Robert De Niro palpe la poche intérieure de son veston, sort son téléphone portable, et lâche, le sourire en coin: «On m’avait pourtant dit qu’on m’enverrait des questions par SMS pour m’aider.» Cette scène s’est déroulée samedi, à Manhattan, dans le cadre du festival du film de Tribeca, dont il est l’un des fondateurs.

Sur l’estrade, l’immense acteur était censé interviewe­r Bradley Cooper, ou du moins animer une discussion à bâtons rompus avec lui. Il n’a fait ni l’un ni l’autre. Robert De Niro est avare en mots, en proie à quelques trous de mémoire. Mais avec une présence incroyable. Il a offert des silences au public. Beaux et gênants à la fois.

C’est donc Bradley Cooper, amusé, qui a pris les choses en main. «Robert De Niro a changé ma vie. Je peux raconter deux histoires, Bob?» De Niro acquiesce. L’acteur de 43 ans raconte à quel point ce dernier a influencé sa carrière, comment, tout tremblotan­t, il a osé poser une question à son acteur fétiche alors qu’il n’était encore qu’un apprenti, se contentant d’un simple «C’est une bonne question» en guise de réponse.

«Il m’a pris dans ses bras»

Il raconte aussi la fois où il avait postulé pour Everybody’s Fine (2009), de Kirk Jones. «J’avais envoyé une vidéo dans laquelle ma mère me donnait la réplique en jouant de rôle de De Niro. La régie m’a appelé pour me dire qu’il voulait me rencontrer dans son hôtel. J’y suis allé et [il regarde l’acteur] tu m’as tout de suite dit: «Tu n’auras pas le rôle, mais je sens quelque chose en toi.» Tu m’as pris dans tes bras. Et je suis parti.» L’échange n’a duré que quelques secondes. Mais il a marqué Bradley Cooper à vie. Robert De Niro sourit: «Je suis comme ça. Quand je perçois quelque chose chez les gens, j’aime les rencontrer.»

L’acteur sort une nouvelle fois son téléphone de la poche. «Ah, je croyais que je l’avais éteint», dit-il. Toujours pas de SMS de dépannage à l’horizon. Bon camarade, Bradley Cooper vient au secours de son idole et se raconte avec plaisir. Enfant, il était timide, terrifié à l’idée de parler en public, mais animé par une curiosité, une volonté de raconter des histoires. «C’est aussi une chose que j’ai apprise plus tard de Bob pour mon métier d’acteur: ne jamais en faire trop. Les moments d’émotion intense viennent parfois de façon inattendue.»

Un amour presque filial

Bradley Cooper et Robert De Niro ont joué dans plusieurs films ensemble: Limitless (2011), Silver Linings Playbook (2012), American Hustle (2013) ou encore Joy (2015). Bradley Cooper fait aujourd’hui ses débuts de réalisateu­r avec A Star is Born, qui sortira sur les écrans en octobre, alors que Robert De Niro n’a luimême réalisé que deux films, A Bronx Tale (1993) et The Good Shepherd (2006). Cooper a avoué trois ans de préparatio­n mais quarante-deux jours de tournage pour son nouveau film. De Niro, dans un rare moment de confidence, souligne que ses tournages ont duré deux fois plus longtemps: «C’est probableme­nt la raison pour laquelle on ne me demande plus d’en réaliser.» D’ailleurs, il n’a jamais pensé à en réaliser plus de «trois ou cinq» pendant sa carrière.

Bradley Cooper lui voue un amour presque filial. Dans Silver Linings Playbook (renommé Happiness Therapy pour sa sortie dans certains pays européens), il campait d’ailleurs le rôle de son fils, à un moment crucial de sa vie: «J’ai dû te dire Dad alors que je venais de perdre mon père.» Présent dans la salle, David Russel raconte à son tour des souvenirs de tournage. De Niro l’invite à monter sur scène, Cooper va chercher une chaise. Le duo devient trio, et Robert De Niro a encore moins besoin de parler: ses deux comparses le font à sa place.

Du respect et de la crainte

David Russel, ses grandes lunettes noires vissées sur le nez, ne tarit pas d’éloges: «Une bonne partie du respect que l’on ressent pour quelqu’un se matérialis­e sous la forme de crainte. C’est ce qu’inspire De Niro sur un plateau de tournage. C’est un peu comme avec la mafia: qui oserait le contredire?» Puis, le réalisateu­r se lance dans une imitation de l’acteur Joe Pesci, qui l’avait averti. «Vous verrez que si vous ne lui dites pas quoi dire, il ne dira rien», lui avait-il déclaré.

«C’est un peu ce que nous sommes en train d’expériment­er maintenant, enchaîne le réalisateu­r, hilare. Mais en même temps, quand Bob a quelque chose à dire, il le dit.» Une allusion à ses désormais légendaire­s coups de colère contre Donald Trump. Juste avant son élection, Robert De Niro avait, dans un message face caméra, dit tout le mal qu’il en pensait.

Alors, quand une femme du public lui demande s’il existe un rôle qu’il refuserait de jouer, sa réponse était toute trouvée. «Oui: Donald Trump.» Il a les yeux qui pétillent de malice et son fameux rire rentré qui tord sa bouche. Il n’en dira pas plus. Il n’en a pas besoin.

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