Le genre s’invite dans les produits financiers
La question du genre entre de plainpied dans l'univers de la finance avec l'ambition de soutenir la diversité et de jouer sa part dans la réduction des inégalités.
Depuis peu, en effet, on assiste à l'émergence sur les marchés financiers d'un produit d'un «genre» nouveau, les «Gender Bonds», des obligations à vocation sociale, créées pour offrir aux entreprises des sources de financement plus diversifiées tout en promouvant des principes éthiques qui participent à la résolution des problèmes liés aux inégalités entre hommes et femmes. Comment? En investissant, au moyen d'obligations, dans des entreprises, des organismes ou des fonds finançant des projets en faveur de l'égalité ou de l'autonomisation des femmes.
S'inscrivant pleinement dans l'approche de l'investissement socialement responsable (ISR), les «Gender Bonds» cherchent à avoir un impact positif et mesurable sur le plan social en plus de leur rendement financier. Elles entrent ainsi dans la catégorie Impact Investing qui, comme l'ensemble des solutions ISR, rencontre un intérêt grandissant auprès des investisseurs.
Avec ce produit, la finance s'attaque à une problématique qui touche aussi bien les pays industrialisés que les pays en voie de développement. D'autant plus lorsque l'on sait que 130 millions de jeunes filles sont toujours privées d'enseignement dans le monde selon l'Unesco, que les femmes, qui représentent aujourd'hui 40% des étudiants des grands MBA, n'occupent que 4,4% des postes de président-directeur général des entreprises du S&P 500 (Bain&Co), et surtout que là où les femmes ont le taux de participation à l'emploi le plus élevé, comme au Cambodge, à Madagascar ou au Mozambique, elles doivent faire face à des conditions de travail extrêmement pénibles. Elles sont forcées de faire du temps supplémentaire et discriminées pour un contrat de travail de longue durée en cas de grossesse.
Mais en quoi ce produit «vertueux» se montrerait-il plus performant que les autres? Plusieurs facteurs l'expliquent. L'argument qui plaide en faveur des «Gender Bonds» repose sur la corrélation existant entre comportement vertueux et performance solide. Du point de vue de l'investissement, cette thèse est aussi étayée par des facteurs techniques et fondamentaux. En effet, une recherche de RobecoSAM conduite en 2015 sur la diversité des genres met en évidence le fait que la mixité professionnelle coïncide avec une baisse des risques et une hausse de la performance. Côté marché, UBS (2018) et Credit Suisse (2015) ont montré que les actions des entreprises dont les conseils d'administration ont une représentation équilibrée des genres ou au moins une femme ont tendance à surperformer.
Une obligation perpétuelle «Gender Bond»
Fin 2017, l'assureur australien QBE Insurance Group a émis une obligation perpétuelle «Gender Bond», classée capital réglementaire Additional Tier 1 de type ESG. Cette obligation, qui vise à investir dans des entreprises australiennes éligibles au cadre détaillé des Principes d'autonomisation des femmes des Nations unies, a été sursouscrite 20 fois pour une émission de 400 millions de dollars (390 millions de francs). Un succès principalement dû à sa thématique et à ses caractéristiques techniques (cette classe d'actifs étant rare). Son coupon de 5,25% également ne manquait pas d'attrait dans un environnement de taux bas. Avant QBE, la première obligation «Gender» a été lancée par la National Australia Bank (500 millions de dollars australiens, soit 373 millions de francs) en mars 2017 et avait aussi été largement sursouscrite.
De son côté, la Banque mondiale a levé un milliard de dollars canadiens (762 milliards de francs) au moyen d'une obligation «Gender» notée AAA, dotée d'une échéance de 5 ans et d'un coupon annuel de 2,25%. Un produit qui comme les précédents doit financer des projets visant à changer la vie des femmes et des enfants dans les pays en développement, par exemple des programmes de distribution de vitamine A et de zinc aux femmes enceintes et aux enfants au Pakistan, des initiatives d'émancipation des femmes en Afghanistan relative à la protection du droit, ainsi que des mesures de prévention des violences en Ouganda.
Nous en sommes convaincus, les «Gender bonds» vont gagner en vitesse dans la communauté de l'Impact Investing grâce à leur profil de rendement/risque et à leur offre limitée. Et même si le progrès social est lent et qu'il faudra sans doute des dizaines d'années pour briser des stéréotypes culturels et le plafond de verre dans toutes les sociétés dans le traitement des genres, la finance participe au mouvement et nous nous en réjouissons.