Le Temps

Comment le CIO a rapproché les deux Corées, par Thomas Bach

- THOMAS BACH PRÉSIDENT DU COMITÉ INTERNATIO­NAL OLYMPIQUE

Lorsque les dirigeants des Corées du Nord et du Sud se réuniront le 27 avril, ce ne sera que le troisième sommet de ce genre depuis la fin de la guerre de Corée. Un moment rare dans notre monde polarisé. Il y a quelques mois encore, l’escalade des tensions politiques était vive et un risque d’affronteme­nt militaire dans la péninsule coréenne existait. C’est à cette situation de crise, ponctuée de tirs de missiles, d’essais nucléaires et de discours belliqueux, que le monde et les Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchan­g 2018 faisaient face à l’automne 2017. Pour expliquer le relâchemen­t de ces tensions, il convient de considérer le rôle des Jeux olympiques.

On dit souvent que les relations internatio­nales sont affaire de realpoliti­k. D’où peutêtre la surprise pour certains que ce soit le pouvoir du sport qui a permis cette ouverture pour que les Corées du Nord et du Sud envisagent le dialogue plutôt que la confrontat­ion.

On se souviendra de ce moment historique aux Jeux de Pyeongchan­g lorsque les athlètes des Corées du Nord et du Sud ont défilé ensemble à la cérémonie d’ouverture: une seule équipe derrière une bannière unique, le drapeau de l’unificatio­n coréenne. Ce fut le résultat d’un processus de négociatio­ns à haut niveau gouverneme­ntal de la part du Comité internatio­nal olympique.

Cette démarche a commencé en 2014, lorsque le CIO a lancé un programme spécial destiné à aider les athlètes nord-coréens à se qualifier pour les Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchan­g. Mais les tensions politiques dans la péninsule coréenne se sont accentuées au cours du second semestre 2017. Un essai nucléaire et des tirs de missiles nord-coréens, suivis de contre-mesures telles que les sanctions infligées par les Etats-Unis et les Nations unies, ont remis en question la tenue même des Jeux olympiques d’hiver. Le CIO a donc intensifié ses efforts sur tous les fronts, en gardant toujours une neutralité politique et en mettant l’accent sur la mission fondamenta­le des Jeux olympiques: rassembler les peuples autour d’une compétitio­n pacifique.

Les efforts du CIO se sont portés pour une grande part sur la résolution de la Trêve olympique, une tradition vieille de trois mille ans, ravivée par le CIO et l’ONU, qui appelle à une cessation des hostilités dans le monde pendant les Jeux olympiques. En vue de la situation dans la péninsule coréenne, le CIO, avec le gouverneme­nt de Corée du Sud, a fait intégrer une clause spéciale dans la résolution pour garantir que tous les participan­ts puissent se rendre aux Jeux en toute sécurité. La résolution a été soutenue par un nombre record d’Etats membres de l’ONU et adoptée par consensus par l’assemblée générale de l’ONU en novembre 2017.

Durant tout ce temps, le CIO a gardé la porte ouverte à la participat­ion d’athlètes nord-coréens à Pyeongchan­g, en prolongean­t les dates limites d’inscriptio­n, par l’assurance d’invitation­s exceptionn­elles, par la poursuite de notre programme d’aide aux athlètes. Toutes les parties savaient qu’elles pouvaient compter sur le CIO pour laisser la porte ouverte. Et le CIO a été heureux de voir les deux gouverneme­nts coréens franchir cette porte, à la suite du discours de Nouvel An par le dirigeant de la Corée du Nord.

Le CIO a adopté la Déclaratio­n olympique sur la péninsule coréenne lors d’une réunion tenue le 20 janvier 2018, avec les deux gouverneme­nts et les deux comités nationaux olympiques. Avec cette déclaratio­n, le CIO a non seulement rendu possible la participat­ion des athlètes nord-coréens, mais il a aussi facilité le défilé conjoint des athlètes et la formation d’une équipe féminine unifiée en hockey sur glace.

Les cyniques pourraient dénigrer ces décisions en les jugeant naïves. Si cette naïveté peut ouvrir la voie à des négociatio­ns de paix le 27 avril, alors je suis heureux d’en être taxé. D’aucuns pourraient également dire que tout ceci n’était que propagande politique. A ceux-là, je tiens à dire que si ces décisions olympiques contribuen­t aux négociatio­ns de paix, j’en souhaite encore bien d’autres. Lorsque Pierre de Coubertin a restauré les Jeux olympiques il y a cent ans, son idée selon laquelle le sport avait vocation à rassembler les peuples autour de compétitio­ns pacifiques avait aussi été considérée par beaucoup comme naïve à l’âge du nationalis­me. Or, si en 2018, les Jeux olympiques parviennen­t encore à réunir adversaire­s et ennemis, il apparaît que bien plus d’un siècle plus tard, cette idée naïve continue d’exercer une force persuasive.

Les Jeux olympiques ont ouvert la porte. Les politicien­s ont fait les premiers pas. Maintenant que le seuil est franchi, ils s’apprêtent à s’asseoir à la même table pour évoquer la paix. Ils vont entamer ces pourparler­s avec une expérience commune de succès aux Jeux olympiques. Suite à mes diverses réunions avec les deux dirigeants de la péninsule, je suis confiant dans le fait que tous deux sont déterminés à poursuivre sur cet élan olympique.

Si cette naïveté peut ouvrir la voie à des négociatio­ns de paix le 27 avril, alors je suis heureux d’en être taxé

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