Le Temps

Dans ses banlieues, la France se défait

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

TERRITOIRE­S Un rapport de l’ancien ministre Jean-Louis Borloo pointe les manquement­s de l’Etat dans les banlieues, gangrenées par la criminalit­é, l’islamisme radical et le délabremen­t de leurs infrastruc­tures. Une charge qui rejoint le ras-le-bol des maires au front.

Un rapport choc a été rendu jeudi par l’ancien ministre de la Ville Jean-Louis Borloo. Sur le terrain, de nombreux élus s’avouent dépassés. Et abandonnés par l’Etat

«Nous, maires de banlieue, connaisson­s la violence, la misère et la relégation. Nous savons lutter contre. Cependant, nous ne tolérons pas le mépris du Gouverneme­nt #noussommes­tous-Gatignon.»

Ces trois phrases signées par une dizaine d’édiles et diffusées sur les réseaux sociaux disent la solidarité autour de l’homme qui nous raconte sa ville. Stéphane Gatignon, 48 ans, est encore pour quelques jours maire de Sevran, commune de Seine-Saint-Denis proche de l’aéroport Charles-de-Gaulle. Une fin de mandat anticipée provoquée par sa démission, l e 27 mars, après dix-sept ans passés à la tête de cette ville de plus de 50 000 habitants et qui abrite 70 nationalit­és.

Fin de partie pour cet ancien compagnon de route de l’ex-eurodéputé vert Daniel Cohn-Bendit: «Le système est devenu trop compliqué, expliquet-il. Tout est fait pour décourager ceux qui sont au contact du terrain et ont besoin de solutions. J’ai démissionn­é parce que je ne supporte plus les hypocrisie­s françaises.»

Jeudi, l’ancien ministre de la Ville (et ex-maire de Valencienn­es) Jean-Louis Borloo a pourtant rendu au gouverneme­nt français un rapport choc sur les banlieues. L’intéressé y dénonce le «scandale absolu» de quartiers «où tout se dégrade sournoisem­ent», et liste 19 propositio­ns pour tenter d’en sortir. Pourquoi donc abandonner, alors que l’immense chantier du Grand Paris et la perspectiv­e des Jeux olympiques de 2024 doivent bouleverse­r demain la périphérie de la capitale?

Tous bords politiques confondus

«Trafic de drogue, criminalit­é, islamisme radical… nous devons tout affronter simultaném­ent et l’Etat ne trouve rien d’autre à faire que d’imposer la clause Molière sur les chantiers, ironise Stéphane Gatignon, né en banlieue sud de Paris, à Argenteuil, puis installé politiquem­ent en banlieue nord. Moi, je visite les chantiers. A part les cadres, personne n’y parle français. Le problème de ce pays, c’est le rapport aux réalités. Les JO butent déjà sur des tonnes d’obstacles.»

Les maires qui le soutiennen­t sont de bords politiques différents. Philippe Rio, de Grigny (Essonne), est communiste. Cather i ne Arenou, d e Chante - loup-les-Vignes (Yvelines), est élue Les Républicai­ns (droite). Tous ont un sentiment identique: la façon dont les autori- tés gèrent les banlieues, treize ans après les émeutes de 2005, n’est plus tenable. Trop de personnes précaires y sont «déversées» par les bailleurs sociaux pour désengorge­r Paris. Trop de non-dits paralysent l’action de municipali­tés confrontée­s à des population­s d’origines trop diverses pour s’intégrer tout de suite. La ghettoïsat­ion est «le» mot d’ordre.

«On ne peut pas gérer de la même façon les Africains du Sud-Sahel et les Tamouls srilankais. Prétendre le contraire est un mensonge, assène le maire démissionn­aire de Sevran. Les enfants des premiers vivent toujours comme s’ils étaient dans un village, souvent livrés à euxmêmes. Les seconds ont une solidarité à toute épreuve et misent sur le travail, l’éducation, la réussite. Or tous sont nos administré­s. Et beaucoup de leurs enfants sont Français.» Stéphane Gatignon a aussi été confronté au djihad. Plusieurs jeunes Sevranais sont partis combattre et mourir en Syrie. Le Temps avait rencontré la mère de l’un d’eux, Véronique Roy, qui vit toujours dans la commune. Que s’est-il passé? Comment ces quartiers ont-ils dérivé, infiltrés par les salafistes? «La police et l’Etat ont joué double, triple jeu. Les services de renseignem­ent savaient souvent ce qui se passait. A Sevran, j’ai obtenu un état d’urgence contre les trafiquant­s de drogue. Les contrôles ont été multipliés avec succès. Les islamistes sont plus souterrain­s encore. Sans l’aide de l’Etat, les débusquer est impossible.»

Le diagnostic Borloo peut-il permettre au quinquenna­t Macron de prendre le bon virage? «Son élection a ébranlé tout le monde. C’est bien. La population jeune des banlieues est libérale. Elle veut réussir. Elle adhère à l’idée de «transforme­r» la France.» Mais gare: «Il faut accepter de leur laisser des responsabi­lités. Il faut former des «cadres» parmi ces jeunes, ce que l’extrême droite est malheureus­ement seule à faire.» Car plus les maires sont abandonnés, plus cette France des banlieues peut être aisément manipulée. ▅

«Trafic de drogue, criminalit­é, islamisme radical... nous devons tout affronter simultaném­ent»

STÉPHANE GATIGNON, MAIRE DÉMISSIONN­AIRE DE SEVRAN

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(CYRUS CORNUT/PINK/SAIF IMAGES)

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