Le sommet intercoréen n’électrise pas Séoul
A Séoul, on observe avec scepticisme la rencontre entre le dictateur nord-coréen Kim Jong-un et le président Moon Jae-in, mais le soulagement est général face à la baisse des tensions dans la péninsule
Alors que les dirigeants coréens – Kim Jong-un pour le Nord et Moon Jae-in pour le Sud – doivent se rencontrer aujourd’hui dans le village frontière de Panmunjeom, la population de la capitale de la Corée du Sud reste méfiante quant aux retombées positives à attendre de la rencontre. Les deux précédents sommets intercoréens (en 2002 et en 2007) n’avaient guère fait évoluer la situation, et les Sud-Coréens disent avoir d’autres problèmes à régler.
Alors que de nombreux regards à travers le monde scrutent la péninsule coréenne à l’occasion du sommet historique réunissant ce vendredi le dirigeant du Sud, Moon Jae-in, et son homologue du Nord, Kim Jong-un, les Sud-Coréens semblent considérer cet événement rarissime avec un certain détachement. Aucun signe de fébrilité n’est perceptible à Séoul pendant que se déroule dans le village transfrontalier de Panmunjeom, à quelques dizaines de kilomètres de là, une rencontre qui cristallise de nombreuses attentes économiques, diplomatiques et militaires.
«Il y a déjà eu deux sommets intercoréens [en 2002 et 2007] et je n’ai pas l’impression que les choses aient beaucoup changé entre-temps, estime Park Eun-mi, une employée d’une cinquantaine d’années. Le mieux que nous pouvons espérer, c’est l’établissement de bonnes relations entre Moon Jae-in et Kim Jong-un afin de maintenir la communication.»Depuis le début de son mandat, le président sud-coréen a multiplié les gestes d’apaisement en direction de son turbulent voisin. Les appels au dialogue de son administration libérale ont finalement ouvert la voie royale à la participation du Nord aux Jeux olympiques de Pyeongchang en février dernier. Depuis, un environnement propice s’est ingénieusement mis en place pour la réalisation de ces pourparlers entre les deux dirigeants, avec en point de mire la signature d’un traité de paix entre les frères ennemis, toujours techniquement en guerre depuis 65 ans.
La sincérité du Nord mise en doute
Tae-wan, un étudiant en droit, se dit rassuré par ces discussions entre les deux Corées, même s’il a quelques réserves: «L’année dernière, je craignais vraiment que la situation ne dégénère à cause des provocations nord-coréennes et du ton belliqueux de Trump. Cette ambiance de dialogue me rassure à présent. Par contre, je doute de la sincérité du régime de Kim Jong-un concernant son programme nucléaire.»Samedi dernier, le royaume ermite a voulu se montrer particulièrement conciliant aux yeux de la communauté internationale en déclarant officiellement la suspension de ses tests nucléaires et balistiques ainsi que la fermeture de son principal site d’essais nucléaires. De nombreuses voix s’élèvent cependant en Corée du Sud pour critiquer une annonce négligeable, étant donné que le Nord disposerait déjà d’un arsenal nucléaire.
Site nucléaire inutilisable?
De plus, le site d’essais en question serait devenu inutilisable en raison d’un glissement de terrain, d’après des experts. «Même si, pour les Sud-Coréens, ce dialogue Sud-Nord véhicule l’espoir d’une paix durable, un traité de paix ne pourra être signé qu’après l ’abandon total des armes nucléaires du Nord. Au fond, nous savons donc qu’il est prématuré d’évoquer un traité de paix», tempère Cheong Seong-jang, chercheur à l’institut Sejong, un groupe de réflexion basé à Séoul.
La question de la réunification refait également surface à chaque phase de réchauffement des relations entre les deux pays. Hyeon-ju, une commerçante séoulienne, avoue ne pas particulièrement y tenir: «Je n’attends pas la réunification de la péninsule, il y a d’autres défis majeurs à relever pour notre pays actuellement. J’espère simplement que les tensions vont s’apaiser grâce à ce sommet.»
Clivage entre les générations
Eva John est journaliste et auteure du livre Rencontres entre les deux Corées. Un ouvrage composé d’une série d’entretiens qui lui ont notamment permis d’appréhender les perceptions différentes qu’ont les Sud-Coréens et leurs voisins.
Selon elle,«si la réunification n’est pas au menu de ce sommet – on évoque plutôt la signature d’un traité de paix –, elle est très présente, au Nord comme au Sud. Elle est d’ailleurs inscrite comme un objectif affiché dans les deux Constitutions. A son propos, les Sud-Coréens se divisent entre idéalistes et pragmatiques. Les premiers considèrent que 65 ans de séparation ne permettent pas de tirer un trait sur 5000 ans d’histoire commune. Les seconds, des jeunes pour la plupart, n’ont pas envie de payer pour la réunification, qui va coûter très cher alors que les liens sont complètement distendus. Ceux qui connaissent encore la famille qu’ils ont au Nord sont des personnes très âgées. Et, avec la situation économique en Corée du Sud qui marque le pas, les jeunes ont d’autres préoccupations.»
Les deux Corées sont convenues de retransmettre les temps forts du sommet entre Moon Jae-in et Kim Jong-un, à commencer par leur première poignée de main. A Séoul, Cheong Seong-jang ne pense pas que cette diffusion en direct captive particulièrement les téléspectateurs: «Les gens ne sont pas très nombreux à regarder la télévision parce qu’ils ont du travail, mais le résultat du sommet va être très suivi. D’après les sondages, les Sud-Coréens s’intéressent à la paix et au dialogue plus qu’à la réunification ou à la portée purement symbolique de cette rencontre.»
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«Les jeunes n’ont pas envie de payer pour la réunification, qui va coûter très cher» EVA JOHN, JOURNALISTE