Le prix musical Echo se saborde
Le prestigieux prix a été supprimé mercredi par ses organisateurs, la fédération de l’industrie musicale allemande, à la suite d’une violente polémique. Il avait été décerné cette année dans la catégorie hip-hop à deux rappeurs accusés d’antisémitisme
Leur nom ne vous dira peut-être rien… Mais dans les cours d’école d’Allemagne, pas un adolescent ou préadolescent qui ne connaisse Felix Antoine Blume et Farid Hamed El Abdellaoui, alias Kollegah et Farid Bang. Les deux rappeurs viennent de publier leur troisième album commun, Jung, Brutal, Gutaussehend 3 (Jeune, brutal, beau gosse 3), couronné le 12 avril du prestigieux prix musical Echo en raison de ses ventes exceptionnelles.
Mercredi dans la soirée, le Prix s’est sabordé, dans le sillage d’une violente polémique autour de la remise de la distinction aux deux rappeurs. En cause: les textes de Kollegah et Rachid Bang, évoquant la shoah («mon corps plus dessiné que celui des détenus d’Auschwitz» ou encore «je referais bien un Holocauste, rapplique avec un Molotov»). La distinction était décernée chaque année depuis 1992 dans le cadre d’une soirée de gala à des musiciens classiques, de jazz, de variété ou encore de hip-hop.
Le choix de Kollegah et Rachid Bang, au moment où l’Allemagne dénonce la montée d’un nouvel antisémitisme lié à l’islam, a suscité un tollé dans l e pays. La ministre de la Culture, Monika Grütters, et l’ensemble de la classe politique sont montés au créneau. Comme l’ancien chef du parti néocommuniste Die Linke, Gregor Gysi, qui dénonce sur Twitter «l’emballage de l’antisémitisme dans la musique» comme «particulièrement abominable».
Quantité d’artistes ont, depuis, rendu leur prix, en signe de protestation. Parmi les plus célèbres, le pianiste et chef d’orchestre Daniel Barenboim (7 Echos au cours de sa carrière), dénonce un album aux textes «ouvertement antisémites, misogynes, homophobes et d’une façon plus générale méprisants pour la dignité humaine.» Quelques heures plus tard, le violoniste français Renaud Capuçon (4 Echos) – qui doit donner deux concerts à Berlin début mai dans la salle Pierre Boulez qui accueille également l’académie de musique de Daniel Barenboim – lui emboîtait le pas pour les mêmes raisons.
Avant eux, d’autres artistes avaient déjà décidé de retourner leurs récompenses, notamment dans le monde de la musique classique, particulièrement touché par l’hémorragie. Parmi les protestataires, le chef d’orchestre Enoch zu Guttenberg, le pianiste Igor Levit, le violoniste Andreas Reiner et l’ensemble de la Staatskapelle de Dresde dirigée par Christian Thielemann. L’orchestre a posté sur Twitter une photo du carton contenant les deux prix reçus en 2004 et 2009 retournés à l’envoyeur.
Face à la fronde, les organisateurs du prix, la Fédération de l’industrie musicale allemande, ont finalement annoncé mercredi la suppression des «Echos», afin qu’ils ne soient pas «une plateforme pour l’antisémitisme, le mépris des femmes, l’homophobie ou la banalisation de la violence». La Fédération annonce pour l’année prochaine un prix nouvelle formule, avec présélection des artistes.
Ce n’est pas la première fois que le prix Echo tombe sous le feu des critiques. En cause, le critère de sélection purement commercial des candidats. «Les organisateurs auraient pu éviter tous ces ennuis s’ils ne s’étaient pas accrochés à leurs critères de sélection: le seul succès commercial des artistes», estime le quotidien Tagesspiegel, tandis que le Spiegel dénonce l’hypocrisie de l’industrie musicale allemande: «De méchants garçons tels que Kollegah et ses collègues ne vont plus recevoir de prix. Mais l’industrie de la musique continue à faire de gros chiffres d’affaires avec eux. La décision des organisateurs ne mange pas de pain.» Sous pression, la maison de disques de Kollegah et Farid Bang, BMG, a finalement annoncé à son tour rompre leur contrat. ▅