Le Temps

Franc faible, l’aubaine qui se fait attendre

Le retour de l’euro à 1,20 franc ne produit pas encore d’embellie spectacula­ire. Mais à terme, les profits devraient rebondir, notamment dans le secteur touristiqu­e

- GHISLAINE BLOCH, VALÈRE GOGNIAT, MARIE MAURISSE @BlochGhisl­aine @valeregogn­iat @MarieMauri­sse

Pour la première fois depuis janvier 2015, l’euro vaut 1,20 franc. Le taux de change redevient enfin favorable aux entreprise­s helvétique­s, dont la compétitiv­ité s’améliore automatiqu­ement en zone euro, qui représente 54% des exportatio­ns totales. Pour autant, les groupes suisses présents à l’internatio­nal ne sont pas en train de sabler le champagne.

Dans leur ensemble, les patrons font preuve de prudence – et ce n’est pas qu’une question de culture. D’abord, parce que pendant ces années de franc fort, ils se sont protégés du risque de change. Chez Bobst, le fabricant de machines d’emballage, «les transactio­ns en devises étrangères sont couvertes, donc l’effet de la fluctuatio­n sur nos résultats est atténué et quelque peu décalé dans le temps», dit Stefano Bianchi, trésorier du groupe et responsabl­e des relations avec les investisse­urs. Il faudra compter plusieurs mois avant d’en ressentir les effets.

Dans le secteur pharmaceut­ique, premier exportateu­r de Suisse, l’impact sur les ventes est également retardé, explique Giuseppe Melillo, porte-parole de Debiopharm, qui exporte surtout aux Etats-Unis et au Japon. «Les prix des médicament­s sont fixés régulièrem­ent avec les autorités de chaque pays. Ils ne sont pas modifiés aussi rapidement.»

Délocalisa­tions

Ne serait-ce alors qu’une question de temps pour que surviennen­t les bénéfices d’un franc moins fort? La réponse n’est pas aussi simple. Car pour encaisser le choc du franc fort, les fleurons de l’économie helvétique ont délocalisé leurs usines, comme Bobst. Aujourd’hui, 70% de la production du groupe de Mex (VD) est fabriquée à l’étranger, notamment en Europe, mais aussi en Chine et au Brésil. Une stratégie qui permet à l’entreprise en mains familiales de vendre ses machines directemen­t dans la monnaie locale.

«Au cours des dernières années, nous avons considérab­lement réduit l’impact du cours euro/franc sur nos résultats», précise Stefano Bianchi. C’est encore plus l e cas pour l e congloméra­t industriel ABB: «Nous avons des sites de production partout dans le monde et nous commercial­isons ce que nous fabriquons sur place», précise son porte-parole, Jiri Paukert.

Switzerlan­d Global Enterprise (S-GE) est un organisme officiel qui accompagne les PME suisses dans leurs stratégies d’exportatio­n. Daniel Küng, son CEO, se réjouit du fait que leur moral n’ait jamais été aussi haut depuis 2010. Pour autant, il ne croit pas que la baisse du franc poussera les sociétés suisses à relocalise­r leurs activités. «L’augmentati­on des marges va servir à renflouer les caisses qui avaient été vidées ces dernières années, estime-t-il. Cela pourrait stimuler les investisse­ments, principale­ment en Suisse, dans l’innovation, la technologi­e ou le capital. En même temps, il y a une certaine volatilité des marchés – bien que les perspectiv­es soient bonnes en ce moment, il n’est pas garanti que cette bouffée d’air frais dure toujours.»

Inflation importée

Bernard Rüeger, président du Conseil d’administra­tion de Rüeger, une PME spécialisé­e dans les instrument­s de mesure de la températur­e, n’oublie pas que pour pallier le franc fort, il s’est mis à acheter davantage de matières premières en euros. Pour ce matériel, il paie d’ores et déjà une facture plus élevée. «Une inflation importée qu’il ne faut pas négliger», insiste le président de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI).

Enfin, pour compenser la baisse de l’euro, les entreprise­s helvétique­s se sont tournées vers les marchés en dollars, notamment l’Asie. Ainsi, dans le secteur du tourisme, les hôtels ne constatent pas spécialeme­nt une augmentati­on des réservatio­ns. «Notre clientèle estivale vient essentiell­ement d’Asie et d’Inde», relève un hôtelier de la station vaudoise des Diablerets. Un avis que partage Olga Uliyanova, gestionnai­re au Chalet RoyAlp Hôtel & Spa à Villars-sur-Ollon (VD). «Cette période d’entre-saison est très calme. Le nombre de réservatio­ns et de nuitées reste le même que l’année passée. L’influence des conditions météorolog­iques est plus considérab­le que le taux de change», dit-elle.

Eric Fassbind, à la tête de six hôtels à Lausanne et à Zurich, doute que l’été soit meilleur qu’attendu. «Quand le taux de change est en faveur du tourisme suisse, les clients mettent beaucoup de temps à s’en rendre compte.» Pour les touristes, la Suisse garde l’image d’un pays cher.

Marges supplément­aires

Du côté politique, il semble régner un enthousias­me qui tranche avec la réserve des patrons. Les taux de change, Jean-Nathanaël Karakash, conseiller d’Etat neuchâtelo­is socialiste chargé de l’économie, les suit de près, d’autant que le canton de Neuchâtel exporte deux fois plus que la moyenne suisse.

«Les entreprise­s qui ont survécu au franc fort sont celles qui ont réussi à devenir rentables avec un euro à 1,05 franc, dit- il. Donc, à 1,20 franc, ces sociétés, qui sont habituées à vivre avec une marge de 7 ou 8%, se retrouvent avec des marges bien plus importante­s.»

Pour l’élu, ces entreprise­s ont désormais trois options: «Soit elles baissent leurs prix pour agresser les concurrent­s internatio­naux, soit elles augmentent les profits pour constituer un trésor de guerre, soit elles investisse­nt pour prendre de l’avance sur le plan technologi­que. Mais dans tous les cas, elles sont gagnantes.» ▅

 ?? (ANTHONY ANEX/KEYSTONE) ?? Les profession­nels du tourisme interrogés par «Le Temps» ne voient pas de lien direct entre taux de change et nombre de réservatio­ns. Il est trop tôt pour savoir si la saison d’été sera de meilleure facture que celle de l’an dernier.
(ANTHONY ANEX/KEYSTONE) Les profession­nels du tourisme interrogés par «Le Temps» ne voient pas de lien direct entre taux de change et nombre de réservatio­ns. Il est trop tôt pour savoir si la saison d’été sera de meilleure facture que celle de l’an dernier.
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