Le Temps

«L’abandon du taux plancher était une bonne idée»

- PROPOS RECUEILLIS PAR SERVAN PECA @servanpeca

CHANGES Pour la première fois depuis le matin du 15 janvier 2015, l’euro flirte avec 1,20 franc. Mais ce n’est pas grâce à la Banque nationale suisse, signale Thomas Stucki, le chef des investisse­ments de la Banque cantonale de SaintGall et ancien responsabl­e des réserves de changes de la BNS

Cela n’aura échappé à personne. Depuis une semaine, l’euro flirte à nouveau avec le taux de 1,20 franc. Si la Banque nationale suisse (BNS) n’a plus agi massivemen­t sur le marché des changes ces derniers mois, elle est toutefois pour beaucoup dans le retour du franc au niveau qu’elle défendait entre 2011 et 2015. Sa stratégie s’est avérée payante, affirme l’expert de la Banque cantonale de Saint-Gall, Thomas Stucki.

L’euro est à 1,20 franc. Doit-on applaudir la BNS? Oui, on peut l’applaudir. Mais pas pour le fait que l’euro soit à 1,20 franc. Plutôt pour la stratégie qu’elle a déployée depuis l’abandon du taux plancher.

Ce n’est pas elle qui a fait baisser le franc ces derniers mois? Le principal moteur de la baisse du franc, en ce moment, c’est la hausse de l’euro. Il est tiré vers le haut par la confiance retrouvée des investisse­urs, par la croissance en zone euro et, plus récemment, par la perspectiv­e de la fin du programme de rachat d’actifs et d’une hausse de la BCE, probableme­nt l’année prochaine.

Le franc ne baisse donc pas… Seulement contre l’euro. Encore une fois, c’est l’euro qui s’apprécie. Cela se voit aussi face au dollar. D’ailleurs, le dollar-franc, lui, ne s’est que peu apprécié, il est toujours plus ou moins au même niveau qu’il y a deux ans.

Certains experts considèren­t que le franc a perdu son statut de valeur refuge. Qu’en pensez-vous? C’est faux. Ce sont les valeurs refuges en général, comme le yen ou la couronne norvégienn­e, qui ne sont pas utiles en ce moment. L’économie mondiale se porte bien, les marchés financiers sont sereins… Personne n’a vraiment besoin de valeur refuge. Mais je suis convaincu que si une mauvaise nouvelle survient, le franc servira de nouveau de protection contre le risque.

A la différence du yen ou de la couronne norvégienn­e, le franc a une caractéris­tique bien à lui: une banque centrale qui s’active pour qu’il ne monte pas. C’est vrai, la BNS est parvenue à faire en sorte que les investisse­urs n’aient plus rien à gagner en achetant du franc. Le marché des obligation­s d’Etat est très limité, placer ses avoirs dans une banque coûte de l’argent, en raison des intérêts négatifs. Et par-dessus tout, personne ne s’attend aujourd’hui à ce que le franc s’apprécie. Pour un investisse­ur étranger, aucun argument ne plaide en faveur du franc en ce moment.

Peut-on considérer que la BNS a réussi son pari? Exactement. On peut l’en féliciter.

Abandonner le taux plancher était donc une bonne idée? C’était une très bonne stratégie, sachant qu’elle a continué à intervenir sur le marché des changes. Au cours des premiers mois, et même en 2016, elle a d’ailleurs vendu presque autant de francs que lorsqu’elle défendait le taux plancher. Mais ne plus devoir défendre précisémen­t le cours de 1,20 lui a offert davantage de flexibilit­é. C’est-à-dire? Ne plus avoir un taux précis à défendre a fait en sorte que les spécul ations se sont diluées. Les paris n’étaient plus concentrés sur 1,20, la pression était donc moins forte. En avril 2017, lorsque les marchés ont commencé à craindre que Marine Le Pen puisse gagner les élections françaises, le franc était plébiscité et il est remonté. Lors de cet épisode, la BNS a agi sur le marché des changes, mais elle a pu le faire en plusieurs épisodes, sans devoir empêcher le franc de franchir un taux précis. C’est beaucoup plus confortabl­e pour elle.

«L’économie se porte bien, les marchés sont sereins. Personne n’a vraiment besoin de valeur refuge en ce moment»

Que doit-on attendre de la BNS, ces prochains mois? Elle agira dans le sillage de la BCE, afin que le franc ne devienne pas plus rémunérate­ur que l’euro. Lorsque la BCE commencera à remonter les taux, on peut s’attendre à ce que la BNS fasse de même avec, selon moi, un décalage de trois mois. ▅

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DE LA BANQUE CANTONALE DE SAINT-GALL
THOMAS STUCKI CHEF DES INVESTISSE­MENTS DE LA BANQUE CANTONALE DE SAINT-GALL

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