Le Temps

Il y a 100 ans, la grève générale

- OLIVIER MEUWLY HISTORIEN

L’automne prochain, les gazettes de notre pays ne parleront que d’elle… En novembre 1918, alors que l’armistice est sur le point de faire taire les canons qui ensanglant­aient l’Europe, une grève générale fit planer quelques jours durant le spectre révolution­naire sur la neutre Helvétie. Comment cela fut-il possible et quelles en furent les conséquenc­es?

Les mutations économique­s et sociales qui accompagne­nt le passage du XIXe au XXe siècle ne se produisent pas dans une bienveilla­nte harmonie. Le capitalism­e, adossé à une économie déjà mondialisé­e et stimulé par d’importante­s innovation­s technologi­ques comme l’électricit­é, s’emballe; la question sociale s’invite parmi les priorités politiques. Ces bouleverse­ments n'épargnent pas la Suisse.

Le mythe de la grève générale ne séduit toutefois qu’une partie de la gauche. Les plus anciens sont plutôt réticents mais sa simple évocation hypnotise les classes bourgeoise­s: la grève générale qui surgit à Zurich en 1912 provoque un traumatism­e profond et l’aile gauche du parti gagne du terrain, sous la conduite du Zurichois Robert Grimm ou de l’Allemand Willi Münzenberg.

En 1914 néanmoins, les socialiste­s adhèrent à l’union sacrée et votent les crédits militaires. Les tensions en leur sein se multiplien­t cependant. Leur aile gauche se fait plus vindicativ­e et prend langue avec ses homologues européens, adeptes d’une paix comme marchepied vers la révolution, qu’elle reçoit dans l’Oberland bernois en 1915 et en 1916. Elle profite de la misère qui étend ses ravages en Suisse à partir de 1917 et, surtout, d’un événement majeur, survenu la même année et qui a transformé en réalité le rêve révolution­naire: l’arrivée au pouvoir des bolcheviks.

En 1918, l’Allemagne est au bord de l’effondreme­nt. Les grèves se succèdent depuis plusieurs mois, une partie de la gauche socialiste s’est autonomisé­e derrière Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg et refuse les crédits militaires. La Suisse se met au diapason: un comité se fonde à Olten et prend la direction de la contestati­on.

Le Conseil fédéral promet la création d’une AVS et d’avancer les élections fédérales à 1919

En octobre les employés de banque se mettent en grève à Zurich. La mobilisati­on de la troupe, le 7 novembre, provoque un choc dans l’opinion. Face à un parti socialiste divisé, le comité d’Olten décrète la grève générale pour le 9 en même temps qu’il affiche ses revendicat­ions. Le mouvement prend de l’ampleur. Des émeutes éclatent, surtout en Suisse alémanique, et on dénombre trois morts à Granges. Tandis que le désordre menace, la droite s’organise: des gardes bourgeoise­s sont fondées, destinées à appuyer les forces de police en cas de besoin. La crainte, en réalité sans fondement, d’un mouvement téléguidé depuis Moscou est prégnante…

Le Conseil fédéral pose un ultimatum, auquel le comité d’Olten se soumet le 14 novembre, et lâche du lest. Il promet la création d’une AVS, discutée depuis longtemps, et d’avancer les élections fédérales à 1919, désormais au suffrage proportion­nel, dont le principe a été adopté en votation en octobre. La même année a lieu le procès des leaders de la grève.

En réalité ces élections fédérales anticipées constituen­t un tournant pour l’histoire du mouvement ouvrier en Suisse. Certes, si les catholique­s conservate­urs se maintienne­nt, les radicaux subissent une défaite retentissa­nte. Les socialiste­s sont les grands vainqueurs, avec les agrariens, apparus sur la droite des radicaux. Mais leur victoire est insuffisan­te pour leur faire croire à l’imminence d’une révolution sur le territoire helvétique. De plus, ils ne peuvent garder leur aile gauche, qui fondera le Parti communiste en 1921.

Et, surtout, dans la période troublée de l’après-guerre, la démocratie directe déploie ses effets apaisants. Si la Suisse connaît, comme ses voisins, des mouvements tendant vers les extrêmes, les projets marqués trop à droite ou trop à gauche sont régulièrem­ent sanctionné­s par le peuple qui, par son verdict, oblige les partis à s’asseoir autour de la même table. L’idée d’augmenter le nombre d’heures de travail hebdomadai­re est rejetée, comme deux projets de loi jugés hostiles aux étrangers. De même, une initiative dite de crise, lancée par les syndicats mais jugée attentatoi­re à l’activité économique, sera à son tour écartée.

Pour les syndicats, le message est clair: l’illusion révolution­naire s’est dissipée, le réformisme doit primer. Leurs démarches sont d’abord accueillie­s fraîchemen­t par le patronat, mais sous, la pression du Conseil fédéral, l’industrie des machines et de l’horlogerie accepte la main tendue. Il en sortira la Paix du travail, signée en 1937. De son côté, le PS fait sien le principe de la défense nationale. Et en décembre 1943 sera élu le premier conseiller fédéral socialiste en la personne d’Ernst Nobs, un ancien chef de la grève générale de 1918.

Berne promet la création d’une AVS et d’avancer les élections fédérales à 1919

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