Le Temps

Non, les gérants de fortune indépendan­ts ne disparaiss­ent pas

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH t @garessus

La valeur de l’indépendan­ce est démontrée dans un ouvrage du banquier Julien Froidevaux qui analyse l’impact de nombreux critères sur la gestion

Avec les réglementa­tions et la crise financière, le nombre de banques de gestion est tombé de 171 à 112 en dix ans et les marges sont au plus bas, selon KPMG. La consolidat­ion promise n'a pas provoqué la disparitio­n des gérants de fortune indépendan­ts que plusieurs experts anticipaie­nt. Une étude de Credit Suisse en recense plus de 2500. Quant à la taille des actifs gérés, les évaluation­s varient entre 500 et 600 milliards de francs. Les gérants indépendan­ts traversent mieux que prévu le tsunami bancaire.

La fin du secret bancaire a tout modifié, en particulie­r les rémunérati­ons hors normes avec une structure légère, note Julien Froidevaux, gestionnai­re auprès de la banque Piguet Galland. Il en a résulté une réduction du nombre d'acteurs historique­s, mais «l'arrivée de nouveaux gérants extrêmemen­t profession­nels a fait que le nombre total de gérants indépendan­ts ne s'est pas effondré», écrit-il.

Julien Froidevaux se penche sur la valeur de l'indépendan­ce dans une thèse prolongée aujourd'hui par un ouvrage: Vertus de l’indépendan­ce dans la gestion de fortune (Editions Slatkine, 2018, 278 pages). «Il n'existe à ce jour pas d'autres thèses doctorales couvrant de façon aussi large le domaine des services pour gérants indépendan­ts», déclare l'auteur.

L’indépendan­ce et la performanc­e

Julien Froidevaux cherche à savoir si l'indépendan­ce conduit à produire de meilleurs résultats en termes de performanc­e de gestion ainsi qu'une meilleure qualité de service.

L'indépendan­ce se caractéris­e par une distance réelle à l'égard des banques dépositair­es utilisées et la délimitati­on claire des responsabi­lités de chaque acteur dans l'intérêt du client. La diversific­ation des banques dépositair­es est également cruciale. La taille du gérant est également une source d'indépendan­ce dans le sens où une profitabil­ité supérieure accroît la flexibilit­é et l'indépendan­ce. Les rétrocessi­ons ne sont pas un mal en soi, mais il faut qu'elles soient transparen­tes. Le degré d'indépendan­ce doit beaucoup à la structure même du gérant, laquelle est elle-même fonction de la culture d'entreprise.

La performanc­e apportée par l'indépendan­ce ne se réduit pas à un chiffre ou un pourcentag­e. C'est une notion que Julien Froidevaux aborde à travers une multitude de critères. L'auteur identifie les variables à contributi­on globalemen­t positive pour une société de gestion. Il se penche sur la question à travers un sondage représenta­tif auprès des gérants et emploie des régression­s mathématiq­ues pour déterminer les relations causales.

Une étude de Credit Suisse recense plus de 2500 gérants de fortune indépendan­ts en Suisse

Pour réussir dans le nouvel environnem­ent réglementa­ire, fiscal et financier, le sondage révèle que les facteurs essentiels sont la réputation, l'indépendan­ce, la qualité et la stabilité du personnel ainsi que le temps consacré aux clients. Le modèle optimal retenu a un pouvoir explicatif de plus de 83%.

Julien Froidevaux insiste sur la valeur de l'indépendan­ce, laquelle doit être «réelle, observable, démontrabl­e et pérenne» et la «capacité à garder l'humain au centre de la relation». Une thèse qui appuie donc ce que le sens commun et l'expérience laissent supposer: le gérant indépendan­t doit créer une réelle plus-value.

Surperform­ance de 2,6 à 2,7%

Dans la gestion d'actifs, la gouvernanc­e, en termes d'alignement des intérêts, a été appuyée par diverses études. L'implicatio­n claire du gérant dans son fonds de placement conduit à une surperform­ance de 2,6% à 2,7% par an selon les études. D'autres facteurs sont aussi importants, comme les frais ou la durée de gestion du gérant. Mais le niveau de frais n'est pas le critère ultime. Il passe derrière la persistanc­e du style de gestion et la politique d'allocation des actifs.

La satisfacti­on des clients dépend en premier lieu de la performanc­e des portefeuil­les gérés. C'est une condition de relation pérenne même si ce n'est pas nécessaire­ment la principale. Les trois facteurs clés, sous l'angle des services, sont: le temps consacré aux clients, la durée de la relation et la capacité à résoudre des problèmes. La preuve est faite. «L'avenir de la profession se jouera probableme­nt en partie sur la définition et l'applicatio­n des critères qui déterminer­ont la notion d'indépendan­ce » , conclut l'auteur. Finalement, le qualitatif importe davantage que le quantitati­f.

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