Filmer un licenciement abusif?
Une entreprise décide de licencier une employée qui, à ses yeux, ne travaille pas de façon satisfaisante. Le supérieur de l’intéressée, un de ses «ex», toujours sensible à ses charmes, la convoque. La salariée, s’attendant à une attitude répréhensible de son interlocuteur, filme clandestinement l’entretien, au cours duquel le supérieur lui explique que le licenciement est décidé, mais qu’il est prêt à y renoncer si elle veut bien coucher avec lui trois ou quatre fois par an, moyennant rémunération.
La salariée ayant montré la vidéo au service du personnel, le supérieur est licencié. Il dépose plainte pénale contre la salariée pour atteinte à la vie privée et réclame des dommages-intérêts.
Le Ministère public de Fribourg classe la plainte: la salariée plaidait à juste titre l’état de nécessité, car elle avait pris les mesures nécessaires pour prouver une atteinte à ses droits. Le Tribunal fédéral annule cette décision; il ordonne le renvoi de l’intéressée en jugement, pour des motifs inattendus.
D’abord, selon le Tribunal fédéral, la salariée ne pouvait pas s’attendre à des propositions répréhensibles: dès lors, elle ne saurait invoquer l’état de nécessité. Toutefois, ce qui est décisif, c’est que l’atteinte s’est effectivement produite. Dès lors que les craintes de la victime se sont réalisées, on ne saurait prétendre qu’elles étaient injustifiées.
Aux yeux du Tribunal fédéral, il n’y aurait pas de rapport entre la proposition déshonnête et le licenciement.
En réalité, le supérieur a notifié un licenciement soumis à une condition dont la réalisation dépendait de la destinataire. Ce cas de figure est connu. Il signifie qu’en cas d’acceptation de la condition, le licenciement ne produit pas d’effet. En l’occurrence, le supérieur a maintenu le licenciement parce que la sala- riée ne remplissait pas la condition. Il y a donc un lien de causalité entre le refus de la salariée et le licenciement.
La condition était-elle licite? Le Tribunal fédéral déclare abruptement qu’en droit suisse le licenciement «n’a pas besoin de motif» et que, par conséquent, le congé ne serait pas abusif. Ce faisant, il perd de vue l’art. 336 CO, qui réprime le congé abusif depuis trente ans. Or, il saute aux yeux qu’est abusif un licenciement notifié à une femme parce qu’elle refuse de se prostituer à son supérieur.
Enfin, selon le Tribunal fédéral, supposé qu’elle eût des droits à défendre, la femme aurait de toute façon pu en prouver la violation par d’autres moyens que l’enregistrement clandestin. Les juges ne citent aucun de ces autres moyens. En fait, si le supérieur lui a proposé de se prostituer, c’est parce qu’il comptait que la femme serait dans l’incapacité de prouver la proposition. Situation classique: la parole de l’une contre celle de l’autre. Ici, quoi qu’en dise le Tribunal fédéral, l’enregistrement était un moyen de défense nécessaire. ▅