Le Temps

En Corée, l’espoir d’une vraie paix

La venue historique de Kim Jong-un au Sud crée une détente sans précédent. Reste à concrétise­r la promesse de désarmemen­t nucléaire

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

L’un des plus anciens et des plus dangereux conflits de la planète va-t-il prendre fin? Après soixante-cinq ans d’état de guerre ininterrom­pu, la Corée du Sud et sa soeur ennemie du Nord ont pris l’engagement de conclure d’ici à un an un traité de paix et de dénucléari­ser, à terme, la péninsule coréenne.

Cette annonce a été faite vendredi, à l’issue d’une visite sans précédent de Kim Jong-un en Corée du Sud, dans une atmosphère de bonne humeur qui a stupéfié les observateu­rs. Le leader nord-coréen et son homologue du Sud, Moon Jae-in, ont signé une déclaratio­n commune qui contient des engagement­s précis, comme de cesser au 1er mai les provocatio­ns et la propagande (tracts, haut-parleurs) le long de la zone démilitari­sée qui sépare les deux Corées depuis 1953.

«LA GUERRE EN CORÉE VA PRENDRE FIN», a tweeté hier un Donald Trump enthousias­te. Le sommet intercorée­n couronne une séquence qui a vu se succéder les menaces de guerre nucléaire l’an dernier, puis l’apaisement aux Jeux olympiques d’hiver, et qui doit se poursuivre ce printemps par un sommet entre Donald Trump et Kim Jong-un.

Reste ce que la déclaratio­n intercorée­nne ne dit pas: quand et comment le régime de Pyongyang va-t-il se débarrasse­r de ses armes nucléaires, considérée­s comme son assurance vie?

Panmunjom n’est pas exactement un village comme on l’écrit trop souvent. Au nord il y a des bâtiments de béton gris, au sud il y a des bâtiments de béton blanc et de verre et des baraquemen­ts bleus. Au milieu passe le 38e parallèle séparant la République populaire démocratiq­ue de Corée, communiste, et la République de Corée, capitalist­e. C’est une zone militaire, l’une des plus inflammabl­es de la planète. En traversant cette frontière, en invitant même son homologue sud-coréen à y faire un aller et retour, Kim Jong-un peut se targuer d’avoir marqué les esprits. Tout souriant, l’air bon enfant, il a offert l’image d’un jeune homme chaleureux, pour tout dire sympathiqu­e. Même le défilé incongru de sa Mercedes noire encadrée par douze gardes du corps la suivant au pas de course avait en fin de compte un côté chaplinesq­ue. On en oublierait presque qu’il dirige le dernier Etat totalitair­e de la planète.

La réussite du sommet inter-coréen est d’abord celui de Kim Jong-un qui conserve à la fois l’initiative et la maîtrise du calendrier de façon tout à fait étonnante. C’est d’ailleurs ce qu’atteste la «Déclaratio­n de Panmunjom», le document paraphé par Moon Jae-in et Kim III. Si on le lit jusqu’au bout, il est bien précisé que «les mesures» en vue d’une dénucléari­sation de la péninsule, et donc la paix, ont été «initiées par la Corée du Nord»… Il sera difficile d’ignorer cette version validée par le Sud à l’avenir. On en oublierait presque que c’est le Nord qui a démarré un programme nucléaire et menacé durant des années de son feu le Sud et les Etats-Unis. Si les torts sont certes partagés dans l’escalade qui a précédé ce sommet, voilà une façon singulière de présenter les choses.

La «Déclaratio­n de Panmunjom» n’est pas le premier document du genre. Les deux précédents sommets inter-coréens, en 2000 et 2007, en avaient déjà produit. On pourrait donc la considérer comme un morceau de papier de plus égrenant 65 années d’un armistice impossible à transforme­r en paix. Mais on peut aussi se convaincre que quelque chose est peut-être en train de changer. Résumons: Kim Jong-un s’engage à atteindre le but d’une péninsule coréenne sans arme nucléaire. Ce n’est pas tout à fait nouveau, mais c’est un peu plus explicite que par le passé. Les deux chefs d’Etat s’engagent ensuite à signer la paix. Ce n’est pas non plus une première, mais il y a cette fois-ci un calendrier: ce sera fait d’ici à la fin de l’année! Avec les Etats-Unis et la Chine (les Etats signataire­s de l’armistice de 1953). Il y a aussi plusieurs annonces de réunions, politique (un quatrième sommet inter-coréen cet automne, à Pyongyang), militaire (en mai), de familles séparées (en juin), etc. On jugera de cet engagement dès mercredi prochain: le 2 mai, tout acte hostile devra être proscrit, y compris la guerre de propagande. Cela signifie que le Nord devrait démanteler ses haut-parleurs installés à la frontière («éliminer les moyens», est-il écrit) qui crachent leurs décibels à la moindre tension et que le Sud devrait stopper les actions de groupes de militants convoyant par ballons leurs prospectus anticommun­istes pardelà la frontière quand les vents sont favorables.

Dans ce processus vers une dénucléari­sation, tout peut dérailler à tout moment tant les positions des uns et des autres semblent en réalité irréconcil­iables. L’espoir est aujourd’hui porté par un leader nord-coréen qui se sent en position de force pour changer le destin de son pays, un leader sud-coréen élu pour faire la paix et un leader états-uniens qui est prêt à réaliser un «coup» qui donnerait une tout autre image de sa présidence. Une première réponse tombera lors du sommet Kim-Trump. S’il se confirme.

La réponse tombera lors du sommet Kim-Trump. S’il se confirme

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