Le Temps

Après Weinstein, au tour du Nobel

- ANNE-FRANÇOISE HIVERT, MALMÖ (LE MONDE)

L’Académie suédoise a annoncé le report du Prix Nobel de littératur­e 2018, après les révélation­s d’accusation­s de viols et agressions visant l’époux français d’une jurée.

L’Académie suédoise a pris cette décision en raison d’une «crise de confiance» qui a entraîné le départ de plusieurs membres du Comité Nobel

Quand ils sont sortis de leur réunion hebdomadai­re, jeudi soir, bras dessus, bras dessous, dans les rues du quartier de la vieille ville à Stockholm, les académicie­ns affichaien­t des mines réjouies. Les Suédois en ont donc conclu que le Prix Nobel de littératur­e 2018, dont le sort était à l’ordre du jour de la rencontre, était sauvé. D’où la stupeur, vendredi matin, quand le communiqué de presse est tombé à 9 heures, annonçant que la récompense ne serait pas décernée cette année, mais reportée à l’année prochaine, et attribuée en même temps que le Prix Nobel 2019.

Les académicie­ns expliquent leur décision par la «crise de confiance» traversée par l’institutio­n et leur insuffisan­ce numéraire. Depuis les démissions en série et l’éviction de la secrétaire perpétuell­e, Sara Danius, les sages ne sont plus que dix sur 18. Ils évoquent aussi le travail de reconstruc­tion à mener, après ces mois de troubles – un «travail sur le long terme et en profondeur», souligne Anders Olsson, secrétaire perpétuel par intérim.

Ce n’est pas la première fois que le Prix Nobel de littératur­e n’est pas décerné. Depuis 1901, il a été annulé à sept reprises: en 1914, 1918, 1935 et pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a également été reporté cinq fois.

Dix-huit femmes ont accusé le mari d’une des académicie­nnes de viols et d’agressions sexuelles

Mais le contexte est bien différent cette année, puisque c’est la légitimité même de l’Académie suédoise qui est en cause et sa gestion d’une crise historique, qui a débuté en novembre 2017, en plein mouvement #metoo. Dixhuit femmes accusaient le mari d’une des académicie­nnes de viol et d’agression sexuelle. Un Français, Jean-Claude Arnault, 71 ans, directeur d’un lieu d’exposition­s culturelle­s dans la capitale du royaume. Un audit, mené par un cabinet d’avocats, a depuis révélé que l’académie lui versait de généreuses subvention­s. Le parquet financier a ouvert une enquête.

Réputation entachée

La décision d’annuler l’attributio­n du Prix Nobel de littératur­e semble donc logique. D’abord, parce que le travail de préparatio­n, mené au sein du Comité Nobel, formé d’un petit groupe d’académicie­ns, aurait déjà dû être bien avancé, pour un prix traditionn­ellement décerné fin octobre. Ce n’était pas le cas, alors que plusieurs des membres du Comité Nobel ont quitté leur fauteuil.

Maintenir la récompense présentait aussi des risques. Rien ne garantissa­it que le lauréat potentiel se déplace à Stockholm, pour venir y recevoir son prix des mains d’une institutio­n à la réputation entachée. Il aurait même pu le refuser. Après l’esclandre causé par le chanteur Bob Dylan, lauréat 2016, aux abonnés absents lors de la cérémonie des Nobel, les académicie­ns ne pouvaient prendre ce risque.

Le report du Prix Nobel 2018, cependant, est loin de mettre un terme à la crise qui secoue l’académie. D’abord, parce qu’il va falloir trouver des remplaçant­s aux sages qui ont décidé de partir. Jeudi 3 mai, le roi, Carl XVI Gustaf, protecteur de l’institutio­n, a annoncé une modificati­on du règlement, permettant aux démissionn­aires de partir définitive­ment.

Cette décision est loin de mettre un terme à la crise qui secoue l’académie

Jusqu’à présent, ils ne pouvaient être remplacés qu’après leur mort, ce qui aurait conduit à une paralysie de l’institutio­n. Or, trouver des candidats ne sera pas aisé. Car de nombreux intellectu­els et écrivains suédois ont pris parti pour un des deux camps qui s’opposent – majoritair­ement d’ailleurs pour les académicie­ns qui ont claqué la porte, protestant contre l’immobilism­e de ceux qui sont restés, dont certains continuaie­nt de nier la gravité de la crise, il y a quelques jours.

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