Intelligence artificielle: et si la Chine prenait le lead?
Ce n’est ainsi pas un hasard si la Chine est pionnière dans les technologies de reconnaissance faciale
Depuis un quart de siècle, la modernisation de la Chine s’est faite sur le mode du rattrapage industriel, Pékin s’inspirant du modèle capitaliste pour transformer son économie. Le décollage du pays le plus peuplé de la planète s’est nourri de transferts technologiques grâce au système des joint-ventures, d’achats de savoirfaire, de copies et de piratage. Ces dernières années, la production chinoise est toutefois montée en gamme, au point que Pékin est désormais dans le peloton de tête en matière de nouveaux brevets. Reste cette question: quand la Chine deviendra-t-elle une puissance innovante?
Longtemps, la nature du régime et le manque de liberté académique ont semblé être un frein rédhibitoire au processus de création, de rupture technologique. On est peut-être sur le point d’assister à un tournant.
Il est un domaine en effet où certaines tares du pays – surpopulation, dictature, dirigisme économique et surveillance policière – pourraient bien devenir autant d’avantages concurrentiels: celui de l’intelligence artificielle (IA). C’est-à-dire le principal secteur d’activité du futur. Les Etats-Unis ont certes encore une bonne longueur d’avance en concentrant sur leur territoire les géants mondiaux du net. Mais la Chine est engagée dans une course-poursuite. Et elle va très vite.
Qu’on en juge: le pétrole du XXIe siècle, a-t-on pris l’habitude de dire, est le big data. Ces données sont produites par des individus, vous et moi. Plus il y a d’individus ou de consommateurs, plus il y aura de données à exploiter, donc de matière à transformer en services économiques. La Chine, avec 1,3 milliard d’individus bientôt tous connectés, est donc richissime en ressources. Un bassin qui plus est complètement captif à l’intérieur d’une grande muraille électronique qui exclut la concurrence étrangère. Les géants du net chinois comme Baidu, Alibaba, Tencent – des entreprises privées qui travaillent main dans la main avec le gouvernement – multiplient les services innovants à leur clientèle. Ils avancent aussi très vite dans le deep learning (l’«apprentissage profond»), processus par lequel les machines développent leur propre savoir-faire. Ces géants chinois sont guidés par un Etat qui a une stratégie de développement répondant à des impératifs à la fois économiques et sécuritaires. Le Parti communiste entend en effet mettre en place un système de «crédit social» permettant de noter tous ses citoyens, du berceau au tombeau, grâce à leur traçage électronique complété par un quadrillage du territoire par la vidéosurveillance. Ce n’est ainsi pas un hasard si la Chine est d’ores et déjà pionnière dans les technologies de reconnaissance faciale. La protection des données, contrairement à ce qui se fait en Europe (le troisième acteur de cette course), étant très relative, sinon inexistante, la Chine pratique le big data à une échelle inconnue ailleurs.
Le big data n’est pas tout? Sans doute. L’intelligence artificielle a besoin d’ingénieurs qui créent les algorithmes et pensent les ordinateurs de demain. Dans ce domaine, les Etats-Unis semblent indépassables, notamment par leur capacité à attirer les meilleurs talents du monde entier. Cela est toutefois en train de changer avec les politiques migratoires restrictives de Donald Trump. La moitié des ingénieurs en IA de la Silicon Valley sont Chinois, expliquait en début de semaine au Financial Times un industriel chinois. Nombre d’entre eux envisagent aujourd’hui de rentrer dans leur pays, là où se trouvent les plus grands gisements du nouveau pétrole.
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