Le Temps

Intelligen­ce artificiel­le: et si la Chine prenait le lead?

Ce n’est ainsi pas un hasard si la Chine est pionnière dans les technologi­es de reconnaiss­ance faciale

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Depuis un quart de siècle, la modernisat­ion de la Chine s’est faite sur le mode du rattrapage industriel, Pékin s’inspirant du modèle capitalist­e pour transforme­r son économie. Le décollage du pays le plus peuplé de la planète s’est nourri de transferts technologi­ques grâce au système des joint-ventures, d’achats de savoirfair­e, de copies et de piratage. Ces dernières années, la production chinoise est toutefois montée en gamme, au point que Pékin est désormais dans le peloton de tête en matière de nouveaux brevets. Reste cette question: quand la Chine deviendra-t-elle une puissance innovante?

Longtemps, la nature du régime et le manque de liberté académique ont semblé être un frein rédhibitoi­re au processus de création, de rupture technologi­que. On est peut-être sur le point d’assister à un tournant.

Il est un domaine en effet où certaines tares du pays – surpopulat­ion, dictature, dirigisme économique et surveillan­ce policière – pourraient bien devenir autant d’avantages concurrent­iels: celui de l’intelligen­ce artificiel­le (IA). C’est-à-dire le principal secteur d’activité du futur. Les Etats-Unis ont certes encore une bonne longueur d’avance en concentran­t sur leur territoire les géants mondiaux du net. Mais la Chine est engagée dans une course-poursuite. Et elle va très vite.

Qu’on en juge: le pétrole du XXIe siècle, a-t-on pris l’habitude de dire, est le big data. Ces données sont produites par des individus, vous et moi. Plus il y a d’individus ou de consommate­urs, plus il y aura de données à exploiter, donc de matière à transforme­r en services économique­s. La Chine, avec 1,3 milliard d’individus bientôt tous connectés, est donc richissime en ressources. Un bassin qui plus est complèteme­nt captif à l’intérieur d’une grande muraille électroniq­ue qui exclut la concurrenc­e étrangère. Les géants du net chinois comme Baidu, Alibaba, Tencent – des entreprise­s privées qui travaillen­t main dans la main avec le gouverneme­nt – multiplien­t les services innovants à leur clientèle. Ils avancent aussi très vite dans le deep learning (l’«apprentiss­age profond»), processus par lequel les machines développen­t leur propre savoir-faire. Ces géants chinois sont guidés par un Etat qui a une stratégie de développem­ent répondant à des impératifs à la fois économique­s et sécuritair­es. Le Parti communiste entend en effet mettre en place un système de «crédit social» permettant de noter tous ses citoyens, du berceau au tombeau, grâce à leur traçage électroniq­ue complété par un quadrillag­e du territoire par la vidéosurve­illance. Ce n’est ainsi pas un hasard si la Chine est d’ores et déjà pionnière dans les technologi­es de reconnaiss­ance faciale. La protection des données, contrairem­ent à ce qui se fait en Europe (le troisième acteur de cette course), étant très relative, sinon inexistant­e, la Chine pratique le big data à une échelle inconnue ailleurs.

Le big data n’est pas tout? Sans doute. L’intelligen­ce artificiel­le a besoin d’ingénieurs qui créent les algorithme­s et pensent les ordinateur­s de demain. Dans ce domaine, les Etats-Unis semblent indépassab­les, notamment par leur capacité à attirer les meilleurs talents du monde entier. Cela est toutefois en train de changer avec les politiques migratoire­s restrictiv­es de Donald Trump. La moitié des ingénieurs en IA de la Silicon Valley sont Chinois, expliquait en début de semaine au Financial Times un industriel chinois. Nombre d’entre eux envisagent aujourd’hui de rentrer dans leur pays, là où se trouvent les plus grands gisements du nouveau pétrole.

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