Le Temps

Willy Cretegny, la Cuvée de la Tour Baudet

Le viticulteu­r de Satigny brigue un siège au Conseil d’Etat. S’il n’a pas grande chance de l’emporter, il aura mobilisé suffisamme­nt pour qu’on l’entende. Partisan d’une croissance maîtrisée, candidat hors sérail, il veut capitalise­r sur des conviction­s q

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

C’est un heureux hasard qui a présidé au baptême du domaine viticole biologique de Willy Cretegny, La Devinière, à Satigny. Alors qu’il se baladait sur les chemins de France, en 1990, il tombe sur une maison ainsi nommée. La Devinière, c’est joli, ça fait devinette, mais avec une touche de noblesse, comme la robe du vin qui sortira des fûts. Quelques jours plus tard, il apprend que La Devinière était le nom de la maison des champs de François Rabelais. «Ça tombait bien, s’amuse le viticulteu­r candidat au Conseil d’Etat genevois. Rabelais aimait la bonne chère, le bon vin.»

C’est pourtant en observant une grève de la faim, quelques années plus tard, que ce pantagruél­ique viticulteu­r s’illustre en pourfendeu­r de la politique agricole fédérale. Douze jours de jeûne, «qui m’ont mis dans une forme incroyable», raconte-t-il, la gueule barrée par ce sourire asymétriqu­e qu’il arbore en toutes circonstan­ces. En conséquenc­e, pour ce dernier sprint vers l’hôtel de ville, le viticulteu­r fait maigre: «J’ai baissé ma consommati­on d’alcool jusqu’à ne plus boire que de l’eau. Je suis préparé comme un sportif, le footing en moins, parce que je bouge assez sans ça.»

Militant antinucléa­ire, objecteur de conscience

Cette course à l’exécutif sera difficile à remporter, même s’il y croit. Il faut dire qu’avec plus de 9000 voix au premier tour, il est le candidat que personne n’attendait: «Pas mal de Verts votent pour moi, l’Entente me soutient aussi. Je me dis que c’est possible.» Dans la ceinture campagnard­e de Genève, on ne voit que lui sur les affiches. Willy Cretegny, le candidat hors sérail, le viticulteu­r militant, le gars qui avance sans faux-semblants: «J’ai quitté les Verts parce qu’ils ne remettent pas le libre marché en question. Je suis trop attaché à mes conviction­s pour utiliser une étiquette politique aux fins d’être élu.» En homme de la terre, qui ne parle pas pour combler le silence, il réfléchit avant de dire: «En fait, je crois que je suis un radical. J’ai même hésité à recréer ce parti.»

L’eût-il fait qu’il aurait paru moins crédible, au vu de ses credo: stop au gaspillage des ressources naturelles, à la surconsomm­ation, au bétonnage de la zone agricole; un frein au développem­ent de l’aéroport; des taxes douanières pour protéger l’agricultur­e et le commerce de proximité. Protection­niste, Cretegny, comme Donald Trump? «Trump l’est par opportunis­me. Moi, je suis contre la distorsion de la concurrenc­e. On reconnaît bien la nécessité des mesures anti-dumping pour les salaires. Pourquoi pas pour le marché des biens?» Et si vous lui opposez l’utopie de ses conviction­s, il vous répondra qu’il a éprouvé sa théorie sur le terrain, en sa qualité de président de la plateforme du commerce de Genève, de président de l’associatio­n des marchés, de membre du comité des vignerons-encaveurs indépendan­ts, de l’interprofe­ssion de la vigne et du vin de Genève et de Suisse… «C’est ce qui me différenci­e de Luc Barthassat [ndlr: le conseiller d’Etat sortant issu des milieux agricoles]. Je pratique les thèmes dont je parle, ce qui m’assure une cohérence et me donne une légitimité pour agir. Mon bagage me procure une autre manière de voir.»

Né à Gland dans une famille de huit enfants, il perd son père à l’âge de 9 ans. Il faudra faire sans «cette figure du renforceme­nt avec laquelle un gamin se construit». Pépiniéris­te viticole, celui-ci venait de liquider son exploitati­on. Amoureux du plein air, Willy fait un CFC de bûcheron, puis de vigneron, suivi d’un diplôme de viticulteu­r-encaveur, avant d’être engagé dans le premier domaine biologique de Genève, en 1984. Fondateur du mouvement antinucléa­ire, puis objecteur de conscience, il se frotte tôt au militantis­me.

«La Cuvée du Tribunal fédéral»

«Je suis trop attaché à mes conviction­s pour utiliser une étiquette politique aux fins d’être élu»

WILLY CRETEGNY

En 1990, le temps est venu de s’établir. Il construit sa cave, loue des vignes et en achète. Aujourd’hui, il ne possède que 1,7 hectare sur les 13,5 qu’il exploite, avec le désir d’en racheter, afin de sécuriser le domaine que sa fille s’apprête à reprendre. Un parcours qui n’a pas été sans difficulté­s: «On avait peu de sous, j’ai dû me bagarrer pour convaincre les banques. Et puis je me suis aussi battu jusqu’au Tribunal fédéral pour avoir le droit de vendre mon vin sur les marchés et j’ai gagné. Je suis têtu, je tape sur les clous et ils finissent par s’enfoncer.» Dans un rire puissant, il nous tend une bouteille, «la Cuvée du Tribunal fédéral». Mais c’est au jus de raisin qu’on trinque, eu égard à la course au Conseil d’Etat.

Même si Willy Cretegny s’est pris au jeu, son moteur n’est manifestem­ent pas le pouvoir. Mais la jubilation de remettre en cause un ordre établi, bille en tête, sûr que certaines batailles finissent par se gagner. Dimanche, il descendra en ville, sans cravate comme à l’accoutumée, «ça fait tellement longtemps que j’ai pas fait le noeud». Mais déjà, à défaut de Conseil d’Etat, il envisage une autre destinatio­n: le Conseil national. Berne, il y est monté deux fois en tracteur, pour protester. Il se verrait bien désormais prendre sagement le train. Le virus de la politique ne lâche pas ainsi son homme. Et quand le vin est tiré, il faut le boire.

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(NICOLAS RIGHETTI /LUNDI13.CH POUR LE TEMPS) Willy Cretegny dans sa cave. «En fait, je crois que je suis un radical. J’ai même hésité à recréer ce parti.»

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