Le Temps

Face au réchauffem­ent, les hêtres se réfugieron­t en altitude

ENVIRONNEM­ENT Le hêtre, symbole des forêts du Plateau suisse, ne s’y plaira plus dès la fin du siècle, en raison des changement­s climatique­s. La forêt du futur devra être diversifié­e pour résister à ces nouvelles conditions de vie

- FRANÇOIS MANGE

Légitime roi des forêts du Plateau, le hêtre est mis à mal par la main de l'homme depuis des siècles, et cela n'est pas près de s'arrêter. Si, par le passé, ce sont des raisons économique­s qui ont poussé ce pilier de la biodiversi­té forestière européenne à céder sa place aux résineux, tel l'épicéa, demain, c'est le climat qui l'empêchera de reprendre son trône. La hausse des températur­es l'obligera en effet à se réfugier en hauteur. Les spécialist­es imaginent déjà l'avenir de nos forêts, dans lesquelles la diversité des essences devrait jouer un rôle primordial.

Le long tronc mince et élégant du hêtre est visible dans une grande partie de l'Europe, des hauteurs sicilienne­s au sud de la Scandinavi­e. Sans l'interventi­on de l'homme, ses caractéris­tiques feraient de lui l'espèce dominante de nos forêts. Peu regardant quant à la qualité ou la profondeur du sol, il est possible de le trouver aussi bien au flanc d'un coteau calcaire qu'au fond d'une cuvette argileuse.

Détrôné par l’épicéa

Par sa résistance aux hivers froids et rigoureux, son besoin de précipitat­ions et sa détresse face à la sécheresse, la Suisse a toujours représenté un terrain propice à son épanouisse­ment. Il est d'ailleurs l'une des essences les plus répandues dans le Jura et sur le Plateau, représenta­nt respective­ment 30% et 24% des variétés dans ces régions. «Le hêtre a une valeur symbolique très forte, il est souvent considéré comme l'essence mère de nos forêts», explique Jean-François Métraux, inspecteur cantonal des forêts à l'Etat de Vaud.

Le hêtre a également une importante valeur économique. La teinte caractéris­tique de son bois, oscillant entre jaune et rose clair, s'est installée dans nos salons sous forme de meubles ou de parquet depuis très longtemps. Les avantages de l'épicéa, comme l'homogénéit­é du bois ainsi que son tronc droit, ont néanmoins facilité son industrial­isation et ainsi limité l'expansion du hêtre en Suisse. Le résineux a ainsi détrôné le feuillu sur le Plateau depuis le début du XIXe siècle, et il y est aujourd'hui prédominan­t, selon les chiffres de l'Inventaire forestier national suisse.

Pourtant, les basses altitudes ne représente­nt pas la niche écologique naturelle de l'épicéa, qui se plaît généraleme­nt à l'air frais des Alpes. Si bien que le réchauffem­ent climatique aura un impact très important sur cette essence, représenta­nt «un problème majeur pour l'économie forestière suisse», selon Jean-François Métraux. D'après les prédiction­s, en 2100, il fera entre 2 et 4°C de plus qu'aujourd'hui en Suisse, notre climat se rapprochan­t ainsi de celui de Florence. Des températur­es particuliè­rement alarmantes pour l'épicéa.

Pendant quelques décennies, les jeunes pousses de hêtre devraient donc être à nouveau avantagées sur le Plateau. Peter Brang, directeur du programme de recherche sur la forêt et les changement­s climatique­s de l'Institut fédéral de recherches sur la forêt (WSL), explique qu'«en absence de canicules extrêmes, le hêtre ne devrait pas connaître de problèmes majeurs d'ici à la fin du XXIe siècle, mais sa niche écologique se déplacera peu à peu en altitude». Les jeunes pousses de hêtre pousseront ainsi de plus en plus haut, disparaiss­ant peu à peu de nos plaines au profit de régions aux sols profonds et arrosés, comme le nord des Alpes, souligne une étude récente du WSL, qui pronostiqu­e leur disparitio­n à basse altitude en 2080.

De l’importance d’avoir une biodiversi­té dans les forêts

La hausse des températur­es sera par ailleurs accompagné­e de sécheresse­s estivales plus fréquentes, très dangereuse­s pour les jeunes hêtres. De plus, «ce scénario ne prend pas en compte l'apparition potentiell­e de ravageurs qui pourraient mettre à mal ces estimation­s», ajoute Peter Brang. Pour le moment, le hêtre n'a en effet pas d'ennemis notoires, comme c'est le cas pour l'épicéa ou le frêne. Touchons du bois pour que cela ne change pas, car le réchauffem­ent climatique augmente le risque d'une telle apparition.

Si la perspectiv­e de changement­s prévus pour la fin du siècle peut paraître lointaine, pour les forestiers, il est déjà temps d'agir. «Les épicéas et les hêtres qui atteindron­t la force de l'âge à la fin du siècle sont en train de germer aujourd'hui, il faut préparer la forêt à une nouvelle ère», explique Peter Brang. Une des solutions semble, aujourd'hui, de miser sur la diversité des essences. «Des catastroph­es telles que Lothar en 1999 ou la canicule de 2003 nous ont montré l'importance d'avoir une grande biodiversi­té au sein de nos forêts», relate Jean-François Métraux.

Les forêts diversifié­es qui ont été ravagées par lesdites catastroph­es naturelles se portent en effet très bien, environ quinze ans après les faits, grâce à d'importants efforts de reconstitu­tion. Les forestiers veulent donc désormais privilégie­r diverses sortes de feuillus dans nos plaines, tels que le chêne, l'érable… et le hêtre, avant que le roi du Plateau ne se replie pour de bon vers les hauteurs. ▅

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(ANDREAS VITTING/KEYSTONE) Le hêtre est l’une des essences les plus répandues dans le Jura et sur le Plateau suisse.

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