Le Temps

Un lieu, mille légendes

- STÉPHANE GOBBO

Patti Smith est de ceux qui ont trouvé refuge au Chelsea Hotel. Elle s’y installe avec son compagnon d’alors, le photograph­e Robert Mapplethor­pe. Sur un cliché de David Gahr, on la voit posant sur le balcon, l’air déjà fatigué, usé, alors qu’elle n’a pas 25 ans. Le gérant des lieux, Stanley Bard, accepte souvent de se faire payer en oeuvres d’art, une aubaine pour le couple comme pour un certain Jackson Pollock. Patti Smith se dit alors poétesse, elle n’a pas encore composé une seule chanson, personne ne sait qu’elle deviendra une des grandes égéries de l’histoire du rock. Son séjour au Chelsea, repère d’artistes et de marginaux en tout genre, aura sur elle une influence déterminan­te. En 2010, elle y consacre d’ailleurs un chapitre entier de son autobiogra­phie Just Kids. «J’adorais ce lieu, son élégance miteuse et l’histoire qu’il conservait si jalousemen­t.» Elle évoque les fantômes d’Oscar Wilde et de Dylan Thomas, se réjouit de savoir que Dylan avait composé Sad-Eyed Lady of the Lowlands à l’étage même où elle résidait.

De fait, le Chelsea Hotel regorge de légendes et d’histoires fabuleuses. Andy Wahrol y a tourné Chelsea Girls (1966), Leonard Coen y a eu une relation avec Janis Joplin, qu’il raconte dans Chelsea Hotel #2; Jack Kerouac y a écrit la première version de Sur la route, connue sous le nom de «rouleau» et récemment enfin rééditée, Arthur Miller lui a consacré une courte pièce, The Chelsea Affect; Madonna y a réalisé son livre de photos Sex (1992), le Grateful Dead et Jimi Hendrix y ont donné des concerts sauvages sur son toit.

Mais le Chelsea, ce sont aussi des drames. On dit que de jeunes poètes junkies venaient s’y donner la mort. Le 12 octobre 1978, on découvre dans la chambre no 100 le corps de Nancy Spungen. Elle a été assassinée à l’arme blanche. A ses côtés, son compagnon Sid Vicious, bassiste des Sex Pistols. Il est complèteme­nt défoncé et ne se souvient de rien. Il est arrêté, puis relâché. Peu après, il succombe des suites d’une nouvelle overdose. On ne saura jamais ce qu’il s’est réellement passé dans cette chambre no 100. Cet événement tragique fera du tort au Chelsea, que l’on accusera d’être devenu un repère de dealers et de maquereaux. Mais, attirés à la fois par sa légende et ses tarifs attractifs, les artistes ne le délaissero­nt pas. On ne tue pas une légende.

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