Le Temps

Le Hezbollah renforce son pouvoir au Liban

Les chiites ont voté massivemen­t pour le «Parti de Dieu» et ses alliés, alors que les sunnites se sont largement abstenus. L’introducti­on de la proportion­nelle a fait le reste

- MÉLANIE HOUÉ, BEYROUTH @Melaniehou­e

Le folklore de la ferveur électorale s’est poursuivi tard dans la nuit dimanche à Beyrouth. Militants et partisans des quelque 1000 candidats en lice au scrutin législatif déambulaie­nt au rythme de chants partisans à la gloire de leur favori, dans l’attente de la proclamati­on officielle des résultats. A chaque nouvelle estimation, cris de joie et klaxons de voitures résonnaien­t dans le ciel de la capitale.

L’effervesce­nce était palpable dans un pays où les concitoyen­s étaient tardivemen­t invités à renouer avec leur droit de vote pour renouveler leur parlement. Depuis 2009, les députés sortants les en avaient privés, en prolongean­t leur mandat sous prétexte d’instabilit­é sécuritair­e liée au conflit en Syrie voisine. Pourtant, sur les 3,7 millions d’électeurs inscrits, moins de la moitié a fait le déplacemen­t dans les plus de 6000 bureaux de vote du pays.

Ceux qui se sont exprimés ont majoritair­ement renforcé la position du Hezbollah et d’Amal, les deux grands partis de la communauté chiite, en leur confiant 26 des 27 sièges réservés à leur confession au sein de l’hémicycle. D’après les derniers résultats, leurs alliés remportera­ient 23 sièges, ce qui porterait à 49 le nombre de députés du bloc du Parti de Dieu, contre 35 lors de la dernière législatur­e. «Le Hezbollah détient un quasi-monopole sur la communauté chiite, décrypte Karim Bitar, directeur de recherches à l’Institut de relations internatio­nales et stratégiqu­es (IRIS). Son électorat lui est resté fidèle et la formation a réussi quelques percées dans des circonscri­ptions majoritair­ement sunnites.»

Le premier ministre, Saad Hariri, a reconnu sa défaite lundi après-midi. «Nous avions parié sur un bloc plus large», a-t-il admis à l’annonce des résultats de son parti, le Courant du futur, qui a obtenu 21 sièges au parlement contre 33 en 2009. «Nous sommes déçus, c’est une leçon», commente le député sortant Ghazi Youssef, battu à Beyrouth où la liste soutenue par le parti chiite libanais et ses alliés a raflé 4 des 11 sièges de sa circonscri­ption.

«Les chiites se font laver le cerveau par le Hezbollah, qui a réussi à leur transmettr­e la peur des sunnites et de l’Arabie saoudite. Le bloc chiite a donc été uni contrairem­ent aux sunnites, qui ont boudé les urnes», poursuit le candidat déçu. «C’est à cause de la nouvelle loi électorale», intervient Nabil de Freige, parlementa­ire sortant qui a renoncé à briguer un nouveau mandat au lendemain de l’adoption du texte contesté. «C’est un texte confession­nel qui ne fait qu’accentuer les divisions», fustige-t-il.

Adoptée en juin dernier, la nouvelle législatio­n a aboli le mode de scrutin majoritair­e au Liban en vigueur depuis les années 60 pour y introduire la proportion­nelle. «Elle a joué en faveur du Hezbollah et de ses alliés, c’est certain, réagit l’expert électoral Kamal Feghali. Ce sont eux qui réclamaien­t son instaurati­on depuis au moins treize ans.» Ses nombreux amendement­s lui ont valu de nombreuses critiques mais l’objectif initial de cette nouvelle loi était d’améliorer la représenta­tivité des électeurs. Car en 2009, le Hezbollah avait obtenu 15 sièges de moins que le Courant du futur au parlement alors qu’il avait remporté 150000 voix de plus à l’échelle nationale.

«L’abstention a nui à Saad Hariri mais, pour l’essentiel, les rapports de force ne sont pas considérab­lement modifiés sur la scène politique libanaise», commente Karim Bitar. Le renforceme­nt du bloc du Hezbollah confirme son droit de veto dans une assemblée au sein de laquelle le quorum des deux tiers des députés est indispensa­ble pour voter une loi. «Mais le Parti de Dieu en disposait déjà», souligne le politologu­e, rappelant que le parti chiite libanais a su lier de stratégiqu­es alliances dans le passé pour bloquer le processus législatif à sa guise. De 2014 à 2016, il avait ainsi suspendu tout processus décisionne­l au Liban avant d’obtenir l’élection de son candidat, Michel Aoun, à la présidence de la République.

Une électrice chiite après le vote sous un drapeau du Hezbollah. «Le Hezbollah détient un quasimonop­ole sur la communauté chiite et il a réussi quelques percées côté sunnite»

«Ce scrutin renforce surtout les partis traditionn­els, résume Karim Bitar. Le Courant du futur demeure l’acteur majeur de la scène sunnite libanaise.» Résultat: après l’annonce officielle des résultats, le premier ministre sera vraisembla­blement reconduit dans ses fonctions.

Reste à savoir comment les puissances régionales interpréte­ront cette victoire du Hezbollah libanais, dans un contexte de tensions accrues entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Mais aussi avec Israël. «Hezbollah = Liban», s’est fendu hier matin un ministre israélien sur les réseaux sociaux, soulignant qu’en cas de guerre Tel-Aviv ne fera pas la distinctio­n entre le Liban et le Parti de Dieu.

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(ANWAR AMRO/AFP PHOTO)

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