Les étudiants contre le guérilléro
Malgré la répression brutale des manifestations du mois d’avril (45 morts), la pression de la rue se maintient. Un grand rassemblement est prévu ce mercredi
Madelaine a 20 ans. Depuis plusieurs jours elle change chaque nuit de «maison» par «sécurité». Cette jeune étudiante en communication fait partie des centaines d’étudiants nicaraguayens qui manifestent «pour faire tomber le gouvernement caudilliste et machiste» de l’ancien guérilléro Daniel Ortega, 72 ans, président depuis onze ans avec son parti du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), après l’avoir déjà été de 1985 à 1990. «Nous sommes menacés de mort. On nous tire dessus», renchérissent plusieurs étudiants qui campent depuis trois semaines dans l’Université polytechnique du Nicaragua (UPOLI), où ils se sont retranchés après les premières violences.
Comme une traînée de poudre
Leur révolte a commencé début avril lorsqu’un immense incendie a dévasté, en moins d’une semaine, près de 5000 hectares d’une des principales forêts tropicales d’Amérique centrale, la réserve Indio Maiz, dans le sud du Nicaragua. Des étudiants de l’Université centraméricaine de Managua (UCA, jésuite et semi-privée) ont alors commencé à protester contre les négligences du gouvernement qui venait de refuser, pour éteindre l’incendie, l’aide du Costa Rica. L’annonce, quelques jours après, de l’approbation d’une réforme de la sécurité sociale et des retraites a renforcé leur indignation. Mais leur manifestation a été réprimée, la police a tiré. Le mouvement, spontané, s’est alors étendu à la plupart des universités – publiques et privées – et à tout le pays. Il ne s’est pas éteint en dépit du retrait de la réforme par le gouvernement.
Le bilan est lourd pour ce petit pays d’Amérique centrale, l’un des plus pauvres et des plus pacifiques de la région. Selon le Centre nicaraguayen des droits de l’homme (Cenidh), au moins 45 personnes sont mortes depuis le début des manifestations le 19 avril, dont quatre mineurs et 24 étudiants. La plus jeune victime, Alvaro Conrado, avait 15 ans. Ce lycéen apportait de l’eau aux étudiants de l’Université nationale d’ingénierie (UNI) de Managua, retranchés dans l’enceinte universitaire après avoir été attaqués par la police et les brigades motorisées des jeunes sandinistes qui terrorisent la population à chaque manifestation. Au moins 400 personnes ont aussi été blessées et d’autres sont portées disparues.
«Nous assistons à une dégradation totale des droits de l’homme», soutient Vilma Nuñez, 80 ans, la flamboyante présidente de l’association. Torturée dans les prisons du dictateur Anastasio Somoza (le dernier de la dynastie qui régna quarante-trois ans sur le Nicaragua avant d’être renversé par la révolution sandiniste), celle qui fut vice-présidente de la Cour
Une fresque du président Daniel Ortega à Catarina, au lendemain d’affrontements entre manifestants et forces pro-régime. «Nous assistons au développement d’un mécanisme de répression sélective»
VILMA NUÑEZ, PRÉSIDENTE DU CENTRE NICARAGUAYEN DES DROITS DE L’HOMME
suprême de justice dans le premier gouvernement de Daniel Ortega se sent désormais «trahie, trompée, mais aussi responsable d’avoir créé cette idole d’argile». Cette ex-«Danieliste» n’a désormais pas de mots assez durs contre le régime. «La situation est très difficile. Nous assistons au développement d’un mécanisme de répression sélective», dénonce-t-elle, ajoutant que «la torture est en train de se systématiser».
Partout dans le pays, le mécontentement, latent, s’est amplifié après les morts provoquées par la répression brutale du gouvernement. La corruption, l’omniprésence du couple présidentiel (formé de Daniel Ortega et de sa femme et vice-présidente, Rosario Murillo), son autoritarisme croissant, les détériorations des conditions de vie ont fini par excéder la population.
«Le pays était anesthésié. Il y avait un mécontentement occulte, silencieux. Mais les gens ont perdu la peur. C’était impensable avant. Les travailleurs avaient peur de perdre leur travail et les étudiants leur bourse, les citoyens craignaient de ne pas obtenir les documents administratifs dont ils pouvaient avoir besoin…», explique l’écrivain nicaraguayen Sergio Ramirez, vice-président du premier gouvernement de Daniel Ortega avant de rompre avec le parti sandiniste en 1995. Et d’ajouter: «Cette peur a disparu. C’est une renaissance éthique. La base sociale d’Ortega est en train de s’effondrer. Beaucoup de ceux qui le soutenaient sont en train de soutenir les jeunes. Et ces jeunes sont en train de donner une grande leçon morale au pays.»
Fils et petits-fils de maquisards
La plupart de ces jeunes gens sont nés dans des familles sandinistes et comptent souvent, à l’image de Luis, lycéen de 15 ans, un parent ou un grand-parent ex-guérilléro. Et, comme eux le faisaient autrefois, il chante le poing levé avec ses camarades «El pueblo unido jamas sera vencido» (Le peuple uni jamais ne sera vaincu). Tandis que se répand dans les rues la chanson des années 70 «Me gustan los estudiantes» (J’aime les étudiants) de la Chilienne et égérie anti-dictature Violeta Parra. «J’ai participé à une guerre, j’étais combattante du FSLN, mais je n’avais jamais imaginé qu’ils allaient réprimer le peuple. Je soutiens les étudiants», exprime en colère Socorro Hernandez, modeste retraitée de 62 ans.
Le gouvernement a proposé un dialogue national. Le parlement a aussi nommé, lundi 7 mai, une commission vérité pour enquêter sur les violences. Mais les parties invitées à dialoguer – quatre mouvements étudiants en train de s’organiser, le patronat ainsi que l’Eglise – estiment que l’organe d’enquête doit être indépendant. Surtout, tous réclament un changement politique. Or, le gouvernement, qui n’a pas encore autorisé la Commission interaméricaine des droits de l’homme à se rendre dans le pays, souhaite s’en tenir à un dialogue social. De fait, ni les dates ni les conditions du dialogue n’ont encore pu être fixées. En attendant, la pression de la rue semble ne pas vouloir s’arrêter. Une grande manifestation a été convoquée pour ce mercredi 9 mai.
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