Le Temps

La disparitio­n de Maurane laisse ses fans effarés

- OLIVIER PERRIN @olivierper­rin

La vedette belge, cette femme «à la fois forte et fragile», selon Daniel Rossellat, n’avait que 57 ans. Elle séduisait parce qu’elle était une des rares à savoir insuffler des parfums jazzy dans les textes francophon­es

«La vie, c’est fait pour danser, danser sur un twist again, baby.» Voilà les paroles pleines de punch que nous avions bues comme un élixir de jeunesse un soir de printemps, en 1988, salle communale d’Onex, pour le Journal de Genève. Elles tournent en boucle depuis lundi soir dans notre tête remplie de souvenirs, ceux d’une chanteuse qui avait de l’énergie à revendre mais aussi un Prélude de Bach à hérisser les poils. Une des très grandes voix francophon­es de la Belgique, celle de Maurane, s’est tue, à l’âge précoce de 57 ans. C’est à la fois injuste et si attristant que de voir s’éclipser ainsi, de manière si inattendue, l’héroïne de Danser, issue de l’album homonyme récompensé du Grand Prix de l’Académie Charles Cros en 1987.

Deux chansons aux antipodes l’une de l’autre qui montrent bien toute l’étendue de la palette vocale et la puissance lyrique de celle qui fut aussi Marie-Jeanne, la Serveuse automate – un défi après Fabienne Thibeault! – dans la deuxième version de Starmania et qui, en octobre dernier, avait réglé ses comptes avec France Gall – feue elle aussi depuis – qui lui avait vertement reproché d’avoir quitté l’opéra rock mythique de Plamondon-Berger pour des raisons de santé.

Sobre et tétanisant

C’est la RTBF qui a annoncé la nouvelle. Si sobrement qu’on en est tétanisé: «Elle a été retrouvée inanimée dans son lit, lundi, aux alentours de 20h. Un magistrat du parquet de Bruxelles s’est rendu à son domicile. Maurane, alias Claudine Luypaerts, habitait Schaerbeek.» Mais c’était une fille du monde. Entre mille et une proximités musicales, elle avait été une amie très proche de Claude Nougaro et avait enregistré, en 2009, un album pour célébrer le 80e anniversai­re de la naissance du chanteur: Nougaro ou l’espérance en l’homme, avec, notamment, une réinterpré­tation très douce et très intelligem­ment nostalgiqu­e de Toulouse.

«Ce lundi soir», raconte le site du service public belge, on ne voyait, devant son domicile schaerbeek­ois, qu’un véhicule de police de la zone et quelques voisins aux fenêtres. Que lui est-il arrivé, avaient-ils l’air de se demander, après que, le 15 mars dernier, elle eut annoncé dans un tweet la préparatio­n d’un album hommage à Jacques Brel? Brel son idole, son étoile, son maître.

«Elle ne chantait pas, elle vivait sa musique, comme une respiratio­n lente» CHRISTOPHE WILLEM, CHANTEUR

On se souvient aussi de son élégance un peu décalée au tournant des années 80-90, de son ineffable clip vidéo avec Jean-Luc Bideau pour Toutes les mamas, de son regard de braise, de ses spectacles «musclés» et «salutairem­ent toniques», portés par la grande malice de l’esprit plutôt mutin de cette lutine qui aimait chatouille­r la sensibilit­é de ses fans. Ses mimiques, ses rythmes, son autodérisi­on constante ravissaien­t. Notamment les Québécois, qui l’adulaient pour sa folie vitaminée.

Un autre Belge, Adamo, actuelleme­nt en tournée au Chili, a confié être bouleversé par cette «affreuse nouvelle». Plusieurs artistes et personnali­tés politiques ont d’ailleurs réagi «dès la nuit». Le «Je n’arrive pas à croire que je ne t’entendrai plus rire et chanter», suivi d’un message tremblant, révolté, de Lara Fabian. Et puis tous les autres, d’Hélène Ségara au premier ministre belge, Charles Michel, en passant par Christophe Willem pour qui «elle savait mieux que personne nous toucher en plein coeur car elle ne chantait pas, elle vivait sa musique, comme une respiratio­n lente, profonde, pour essayer de suspendre le temps ne serait-ce qu’un instant et adoucir mieux que personne ce monde».

Instinctiv­e et organique

Elle était une des rares à avoir insufflé à la variété des parfums jazzy, mais elle n’a jamais occupé la place qu’elle méritait, dans le fond, se voyant préférer une Patricia Kaas qui jouait un peu dans la même cour qu’elle, jugeait Paris Match en 2011. Car elle, elle avait des titres moins formatés «grosse cavalerie top 50». «J’ai toujours choisi mon répertoire instinctiv­ement, sans chercher le tube, de façon organique.» Puis en 2016, affaiblie, Maurane avait été opérée des cordes vocales et s’était éloignée de la scène après avoir réussi là où beaucoup d’autres ont échoué: l’adaptation de sa vie musicale et de sa carrière à l’ère des réseaux sociaux, sur lesquels elle comptait une communauté importante de fans aujourd’hui effarés.

Les médias évoquent encore son côté «sale tronche». Elle sortait volontiers de ses gonds, la Maurane, allergique à toute forme de superficia­lité et aux propos convenus. Des candidats éplorés de la Nouvelle Star s’en souviennen­t encore. Mais il restera «une artiste attachante, forte et fragile qui pouvait passer d’une douce mélancolie à une énergie tonique», comme nous l’a confié Daniel Rossellat, qui l’avait accueillie trois fois à Nyon, en 1985, 1987 et 1997, après qu’elle eut donné plusieurs spectacles avec des artistes romands comme Pascal Auberson, Léon Francioli ou Jean-François Bovard.

Le patron du Paléo Festival rappelle qu’elle s’était aussi «engagée pour la lutte contre le sida» et qu’elle «avouait parfois son complexe d’être ronde», avec une chanson à double sens qui a marqué le Nyonnais. Trop forte. Trop forte, Maurane, oui, pour s’envoler si tôt.

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(VINCENT CAPMAN/PARISMATCH/SCOOP) Malgré son talent vocal incomparab­le, Maurane n’a jamais occupé la place qu’elle méritait.

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