CLASSIQUE ENTRE VALERY GERGIEV ET LE MARIINSKY: L’OSMOSE
Ce cadeau, on s’en souviendra. Quand Valery Gergiev annonce la «Danse russe» du Casse-Noisette, après deux symphonies mémorables du même auteur, ce n’est pas seulement le jour anniversaire du compositeur que célèbre le chef à l’issue de son concert estampillé Migros Classics. C’est aussi le plaisir de retrouver Genève. Son large sourire, en arrivant sur scène, le dit. Au salut final, l’ovation de la salle qui lui répond loue une soirée étourdissante. On peut se dire que les oeuvres sont pour beaucoup dans la réussite du programme 100% Tchaïkovski, porté par des icônes russes. Mais ce n’est pas uniquement de ça qu’il s’agit lundi soir au Victoria Hall. Car si la 2e Symphonie dite «Petite Russie» trempe dans le folklore et l’énergie de la jeunesse, si la sombre 5e puise dans les tourments de l’âme et si Trepak soulève l’ardeur de tous, il se passe quelque chose de supérieur.
Il y a d’abord les choix. Donner l’intégrale des six symphonies en tournée suisse de trois jours, cela fait sens et démontre la puissance de travail des musiciens et de leur meneur. Elire la version de la 2e, remaniée sept ans plus tard, leste le discours. Mais surtout, il y a ce qui anime l’orchestre du Théâtre Mariinsky et son directeur. Quarante ans de fréquentation et plus de vingt de direction générale de Gergiev ont créé des liens puissants. Quant aux innombrables et incessants déplacements, ils ont transformé l’attachement en osmose. Au fil du temps, Gergiev et le Mariinsky ont fini par composer un seul être, tant la moindre respiration du chef, le plus infime frissonnement de doigt ou un seul regard lancé provoquent instantanément l’effet suggéré. Cette synchronisation organique tient d’une même passion, d’une discipline d’airain et d’une mission d’excellence sans limites. Gergiev y consacre sa vie. Le Mariinsky lui donne la sienne, entière.
Une même quête d’absolu
Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à fermer les yeux et se laisser porter par le flux vibrant, dense et chaleureux d’une masse orchestrale à la fois fusionnelle et claire comme une source. Mais il suffit aussi de regarder ces jeunes qui d’année en année envahissent les pupitres, et de sentir ce bouillonnement qui brûle le son et transporte les élans vers une même quête d’absolu. Dans la 2e Symphonie, le cor et le basson solo donnent d’entrée le ton. Cet absolu existe. Et ils savent le rendre. Déjà incluses dans le silence, les mélodies s’en extraient imperceptiblement, aussi ductiles que sensibles. Dès lors, il n’est plus question, d’une partition à l’autre, que de respiration naturelle, de dynamiques fulgurantes, de compacité minérale et de fonte des sonorités. Tout cela sans que jamais les déferlements ne blessent l’oreille, grâce à des cordes royales, une harmonie rayonnante et des percussions hypersensibles. Dans la 5e Symphonie, Gergiev, toujours mains nues, attise les musiciens parmi eux, et par coeur. Par corps, peut-on dire, tant il transmet les vibrations qui le parcourent aux pupitres. Et à la salle, médusée.
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