Le Temps

Syndrome des «pionniers » découvert au Québec

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-LAURE THÉODULE

Selon une étude récente, la présence de maladies génétiques chez les habitants de certaines régions québécoise­s pourrait s’expliquer par le fait que leurs ancêtres ont conquis des terres isolées

Dans certaines régions du monde, notamment des zones du Québec, la population est beaucoup plus atteinte de maladies génétiques qu'ailleurs. Une étude publiée récemment dans la revue Genetics par des chercheurs du SIB (Institut suisse de bioinforma­tique), en collaborat­ion avec des scientifiq­ues canadiens, s'est penchée sur ce phénomène. Coauteur de l'étude, le professeur de génétique des population­s Laurent Excoffier, de l'Université de Berne, en révèle les causes.

Comment expliquez-vous la plus haute fréquence de maladies génétiques au Québec? Dans plusieurs régions du Québec comme le Saguenay-Lac Saint-Jean, il y a plus de maladies génétiques comme l'hyperchole­stérolémie ou la mucoviscid­ose qu'ailleurs au Québec et dans le monde. Cela tiendrait au fait que les population­s de ces régions descendent de pionniers ayant émigré à l'intérieur de la Belle Province. Le pays a en effet connu plusieurs vagues de peuplement. Les quelque 8000 pionniers fondateurs venus de France au XVIIe siècle se sont d'abord installés le long du fleuve Saint-Laurent, région qui reste le coeur de la population actuelle. Mais à partir du XIXe siècle, une petite partie de la population a migré vers l'intérieur des terres et elle est restée jusqu'à aujourd'hui relativeme­nt isolée des autres habitants. Selon notre modèle informatiq­ue de génétique des population­s, c'est ce facteur, une population pionnière peu dense et isolée, qui expliquera­it le taux élevé de maladies génétiques. Hypothèse que nous avons pu vérifier.

De quelle manière? Le Québec possède une base de données unique au monde, Balsac, qui recense sur trois cents ans la généalogie de trois millions d'individus. Nous avons croisé ces données généalogiq­ues avec les données génétiques d'une biobanque, et choisi des individus présents dans les deux bases. Nous avons ainsi sélectionn­é les 51 individus dont les ancêtres ont le plus vécu, jusqu'à quinze génération­s, sur le front de l'expansion et les 51 autres dont les ancêtres ont le moins vécu sur ce front. Nous avons séquencé les génomes de ces deux groupes, afin de comparer la quantité des mutations et leur qualité. Résultat: les individus du front présentent une moindre diversité génétique, c'est-à-dire moins de mutations, que ceux du coeur, et leurs mutations sont plus néfastes, d'où un taux élevé de maladies génétiques. Nous avons montré que la consanguin­ité n'est pas en cause dans ce phénomène.

Alors, comment l’expliquez-vous? Les mutations évoluent sous l'effet de deux paramètres dans une population: le hasard, ou dérive génétique, et la sélection naturelle. Or, dans les population­s de petite taille, la sélection naturelle, qui favorise les mutations bénéfiques et élimine les délétères, ne fonctionne pas bien. Donc la dérive génétique l'emporte. C'est précisémen­t ce qui s'est produit chez les pionniers québécois.

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