Monet, lumières impressionnistes sur l’architecture
La National Gallery de Londres éclaire l’intérêt de Claude Monet pour le bâti.
A Londres, la National Gallery expose près de 80 toiles montrant comment le peintre français s’est tout au long de sa carrière intéressé à l’architecture
On dit souvent de lui qu’il fut un des pères de l’impressionnisme, du moins un de ses plus illustres représentants. Pour beaucoup, Claude Monet (1840-1926) fait partie de ces peintres qui ont su magnifier la nature, sublimer les paysages. Il reste souvent associé à sa série des Nymphéas, à travers laquelle il suit en quelque sorte l’évolution du jardin japonais qu’il s’était fait construire dans sa maison de Giverny.
A Londres, la National Gallery éclaire l’oeuvre de l’artiste français sous un angle nouveau.
Monet & architecture, une exposition qui a pu être montée grâce au soutien de Credit Suisse, réunit près de 80 toiles montrant l’intérêt de Monet pour le bâti. D’une salle à l’autre, cet accrochage – dont certaines oeuvres ont rarement été montrées – permet une relecture du parcours de l’artiste, que l’on découvre alors, au-delà du paysagiste fasciné par la lumière, comme un homme passionné par l’empreinte laissée sur l’environnement naturel. Interview du professeur Richard Thomson, titulaire de la chaire d’histoire de l’art Watson Gordon à l’Université d’Edimbourg, auteur de l’érudit catalogue qui accompagne cette exposition dont il est le commissaire.
Quelle est réellement la place de Claude Monet, dont on dit qu’il est le père de l’impressionnisme, dans l’histoire de ce mouvement majeur de l’histoire de l’art?
Faire de Monet le père de l’impressionnisme relève du cliché. Il est certes un artiste extrêmement important de l’impressionnisme, mais en même temps, ce mouvement était très étendu. Ce qui est intéressant, avec lui, c’est qu’il n’était pas seulement un paysagiste, mais aussi un figuratif. Monet a passé l’essentiel de son temps à observer la nature, il était fasciné par la météo et la lumière, tout en ne cessant d’évoluer. C’était un artiste très imaginatif, et également impatient. Alors que quelqu’un comme Sisley a continué à faire à peu près la même chose durant trente ans, Monet changeait continuellement de pratique, se mettait au défi en peignant dans différents environnements. C’est son sens de l’aventure artistique qui fait de lui un impressionniste, et aussi la manière dont il a développé un nouveau système de peinture, travaillant par exemple en séries.
L’exposition que vous avez montée part-elle d’une nouvelle interprétation de son travail ou était-il lui-même conscient de sa fascination pour l’environnement bâti?
Il s’agit bien d’un nouvel angle d’approche de son travail. Monet était en premier lieu un peintre, il pensait avant tout à la picturalité. A travers cette exposition, je n’insinue pas qu’il était un peintre de l’architecture et qu’il voulait consciemment peindre des bâtiments, de même que je ne dis pas que cet aspect occulterait l’importance de la nature, des paysages, de la lumière, qui restent des éléments de premier ordre. Mon but est plutôt de pousser les visiteurs à regarder la manière dont il a utilisé les bâtiments pour servir la picturalité. Il utilisait souvent la forme d’un bâtiment pour donner de la régularité à l’irrégularité de la nature. Certains bâtiments lui permettaient aussi d’amener un contraste, comme lorsqu’il peint un toit rouge au milieu d’arbres verts. Ailleurs, lorsqu’il représente la cathédrale de Rouen ou le palais des Doges, à Venise, il en fait des écrans sur lesquels se reflète la lumière, de même qu’une falaise peut être un écran.
Les bâtiments étaient également pour lui des marqueurs de la modernité. Quand il peint un nouveau pont métallique ou la gare Saint-Lazare, il se pose en artiste intéressé par le moderne. Une autre notion que je pourrais ajouter est celle du tourisme de masse, qui s’est fortement développé dans la seconde moitié du XIXe siècle avec l’extension du chemin de fer. Monet lui-même l’a beaucoup utilisé pour voyager sur les côtes normande et méditerranéenne, allant même jusqu’à Venise. A certains moments de sa vie, il était lui aussi un touriste. Dans le fond, l’exposition encourage le visiteur à regarder les bâtiments qu’il a représentés de manière à illuminer la façon dont il travaillait.
Quand on regarde des toiles telles qu’«Effet de neige à Giverny» ou «L’église de Varengeville», on est frappé par la manière dont les bâtiments sont comme des extensions du paysage, alors qu’ailleurs, dans le «Quai du Louvre» notamment, il y a une plus grande précision dans les détails architecturaux, une sorte d’approche documentaire…
Dans ses oeuvres de jeunesse, comme le Quai du Louvre, la dimension documentaire est bien présente. Il essayait d’enregistrer la manière dont Paris était en train de changer. Vous avez l’horizon avec les dômes et les églises du Paris historique, mais au premier plan, vous voyez le Paris moderne, avec les colonnes Morris et les arbres nouvellement plantés. Dans cette toile, il représente l’histoire face à la modernité. Mais vous avez absolument raison, dans L’église de
Varengeville, il montre un bâti-
«Monet utilisait souvent la forme d’un bâtiment pour donner de la régularité à l’irrégularité de la nature»
ment qui fait partie de la nature, l’église et le paysage sont tous deux absorbés par la même lumière, qui unifie le tableau. Mais en même temps, le bâtiment a une forme régulière, angulaire, qui contraste avec celle plus rythmique du paysage. Là encore, il s’agit d’un bon exemple de son approche avant tout picturale de l’architecture.
L’exposition est divisée en trois grandes sections: «Le village et le pittoresque», «La ville et le moderne», «Le monument et le mystérieux». Est-ce que ce chapitrage éclaire différents aspects de l’oeuvre de Monet ou s’agit-il plus d’une envie de créer une narration à travers le parcours?
J’espère vraiment que les visiteurs réfléchiront à son travail de manière différente. Certaines personnes s’opposent à l’idée de pittoresque, car ils pensent que cette notion était importante dans les années 18201830, mais beaucoup moins au moment où Monet a commencé à peindre; or je ne suis pas d’accord. Le pittoresque est resté important à cause du développeen ment du tourisme dont on parlait. Le tourisme encourageait les gens à aller visiter des endroits pittoresques, et c’est encore le cas aujourd’hui. Bien que Monet ne se soit jamais envisagé comme un peintre pittoresque, et loin de moi l’idée de persuader les gens qu’il l’était, comme il n’était pas un peintre architectural, ce concept faisait partie de son environnement culturel.
Le parcours tel que proposé par l’exposition, de ses premiers travaux dans la région parisienne et au Havre jusqu’à sa série sur la cathédrale de Rouen, permet surtout de mesurer l’évolution de son travail…
Il était lui-même conscient de cela, il savait que son oeuvre évoluait. Il ne cherchait jamais à constamment refaire la même chose, ce qui est une grande qualité pour un artiste. Il se testait, travaillait très dur. Quand vous lisez ses lettres, vous voyez la façon dont il était obsédé par une envie de peindre l’impossible: il voulait capter les effets momentanés de la lumière. C’était un artiste doté d’un grand courage même temps que d’une imagination débordante.
Pour le grand public, il reste associé aux «Nymphéas». A titre personnel, quels aspects de son oeuvre préférez-vous?
J’aime beaucoup les toiles dans lesquelles il place la mer à côté de la terre. Ses peintures de falaises, qu’il a faites en Normandie au début des années 1880, sont vraiment merveilleuses. Ses toiles réalisées en 1886 à Belle-Ile et en 1889 dans la Creuse, où il montre une nature sauvage, sont également très belles, mais elles n’avaient pas leur place dans l’exposition puisqu’on n’y voit pas de bâtiments. Pour rester dans ce que l’on voit à la National Gallery, je dirais que sa série sur la cathédrale de Rouen est vraiment sublime. Mais Monet état un peintre tellement diversifié qu’il est difficile d’identifier un aspect de son oeuvre qui serait plus excitant que les autres.
«Monet & architecture», National Gallery, Londres, jusqu’au 29 juillet.
Richard Thomson, «Monet et l’architecture», Fonds Mercator, 218 pages.
«Il ne cherchait jamais à faire deux fois la même chose. C’était un artiste doté d’un grand courage et d’une imagination débordante»