Le Temps

Une série TV où les femmes disent «non»

- PAR FLORIAN DELAFOI t @FlorianDel

La série de Netflix «The End of the F***ing World» propose un personnage féminin qui assume totalement sa libido. Invitée au festival Séries Mania, la créatrice Charlie Covell est revenue sur la représenta­tion des femmes à l’écran et la notion de consenteme­nt. Avec un mot d’ordre: faire bouger les lignes

◗ Leur cavale a fait souffler un vent de liberté. Dévoilée en janvier, la série britanniqu­e The End

of the F***ing World raconte l’histoire de deux adolescent­s qui fuient un quotidien bien terne. Un brin lunaire et taiseux, James est persuadé d’être un psychopath­e. Son tableau de chasse est peu garni: il a tué quelques animaux, dont le chat du voisin et des papillons. Il rêve désormais de s’attaquer à plus «gros». Sa cible est toute trouvée, ce sera Alyssa. Cette adolescent­e au caractère bien trempé hait le nouveau compagnon de sa mère – un «pervers» – et se montre peu sociable avec ses camarades.

Ce duo explosif a soif d’aventures et veut s’affranchir des codes, à la manière du mythique couple de meurtriers Bonnie et Clyde. «Ils sont jeunes! Ils sont amoureux! Et ils tuent des gens!» annonçait l’affiche du long métrage. Les adolescent­s de la série tentent de coller à cette promesse croustilla­nte. Mais dans leur fuite, ils se montrent terribleme­nt maladroits. Leur histoire de chair et de sang est rythmée par des hésitation­s et une bonne tranche d’amateurism­e. Cela vaut aussi pour leurs tentatives de relations charnelles.

EXPRESSION CRUE DU DÉSIR

Invitée au festival Séries Mania, à Lille, la créatrice Charlie Covell a présenté ces deux personnage­s plongés dans une quête initiatiqu­e. Cette rencontre exceptionn­elle était animée par la journalist­e et universita­ire spécialist­e de la représenta­tion du genre au cinéma et dans les séries, Iris Brey. «L’histoire d’amour entre Alyssa et James n’est pas convention­nelle. Ils deviennent d’abord amis et s’offrent la liberté de se dire que tout peut arriver ensuite», a confié la scénariste britanniqu­e devant le public français. Une spontanéit­é propre à l’adolescenc­e, terrain de découverte de la sexualité. Dès le début de l’histoire, Alyssa ne s’embarrasse pas de subtils sous-entendus pour séduire James. Elle lui donne directemen­t rendez-vous pour qu’il lui «broute la chatte».

Cette expression crue du désir féminin surprend le spectateur tant elle est rare dans la fiction. Bien souvent, c’est le désir de l’homme qui domine la scène. Mais une transforma­tion s’opère, et il faut regarder derrière la caméra pour comprendre le phénomène. «La plupart des séries qui proposent des nouvelles représenta­tions de personnage­s féminins sont majoritair­ement créées par des femmes», explique Iris Brey dans son ouvrage Sex and the series.

UN MODÈLE POUR LES ADOLESCENT­ES

Adaptée du roman graphique de Charles Forsman, The End of

the F***ing World reste fidèle à l’histoire originale. A quelques exceptions près. Dans le livre, James et Alyssa ont des relations sexuelles. Ce n’est pas vraiment le cas dans la série. Très libre, la jeune fille change finalement d’avis après un terrible événement. La comédie dramatique explore la notion de consenteme­nt, un thème qui n’était pas clairement établi au moment de l’écriture du scénario. «Je n’ai pas le souvenir d’avoir voulu écrire spécifique­ment sur le consenteme­nt. Alyssa voulait vexer James en couchant avec un autre garçon, mais elle change d’avis au moment de passer à l’acte, a souligné Charlie Covell. La série montre que ce revirement est complèteme­nt acceptable, qu’il n’y a rien de problémati­que à refuser d’avoir une relation sexuelle. Cela normalise le désir des femmes, elles ont la liberté de choisir». Une idée parfaiteme­nt résumée par Alyssa au moment des adieux: «Respecte ma décision et fous-moi la paix.»

Cette liberté vexe toutefois le personnage masculin qui se trouve dans son lit. Il ne trouve rien de mieux que de la qualifier d’«allumeuse» devant James, avant de claquer la porte. Le spectateur retrouve ce jeune homme dans une salle d’interrogat­oire de la police, qui recherche activement les Bonnie et Clyde en herbe. Il tient alors des propos sexistes, si bien qu’une enquêtrice lui propose – sur le ton de l’ironie – de noter Alyssa sur une échelle de 1 à 10. The End of the F***ing World propose un portrait peu reluisant du genre masculin. Interrogée sur le mouvement #metoo, Charlie Covell a d’ailleurs fait une rapide référence à Donald Trump. Avant son élection, le président américain se vantait «d’attraper les femmes par la chatte».

Affirmée et moderne, Alyssa pourrait devenir un modèle pour les jeunes filles. Le personnage est maître de son désir et affiche sans dégoût ses menstruati­ons dans une scène rarement vue dans une série. «La série est un outil de communicat­ion de masse qui peut avoir un impact profond sur la représenta­tion de la sexualité féminine. C’est en cela que les séries prennent une fonction révolution­naire, elles sont accessible­s à tous et peuvent être dévorées dans l’intimité de sa chambre», estime Iris Brey dans son livre. Charlie Covell se réjouit que sa fiction puisse être une source d’inspiratio­n, mais elle refuse de se mettre dans la position du professeur d’éducation sexuelle: «On ne veut pas que ce soit pédagogiqu­e, dire ce qui est bien ou mal. C’est de l’art. […] Je ne veux pas écrire sur ce que doivent faire les adolescent­s mais rompre avec les traditions. Dire tout, c’est bien, prêcher, c’est mal.» ■

 ?? (NETFLIX) ?? Dans «The End of the F***ing World», Alyssa et James, deux ados rebelles et un peu paumés, explorent les tourments du désir et l’importance du respect de soi.
(NETFLIX) Dans «The End of the F***ing World», Alyssa et James, deux ados rebelles et un peu paumés, explorent les tourments du désir et l’importance du respect de soi.

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