Jeux d’argent: une mise en oeuvre boiteuse
La Suisse va-t-elle censurer internet? A quelques semaines de la votation, c’est la question qui domine le débat autour de la loi sur les jeux d’argent. D’un côté, les référendaires dénoncent un glissement autoritaire à la chinoise. De l’autre, les partisans défendent une mesure indispensable à la solidarité nationale. Au milieu, un texte complexe qui manque d’impartialité.
Les objectifs poursuivis par la loi sont légitimes. Les opérateurs de sites de jeu étrangers ne respectent pas les règles de prévention helvétiques en matière d’addiction et absorbent 250 millions de francs par an hors de portée du fisc suisse. Or, la population s’est clairement prononcée en 2012: les bénéfices des jeux d’argent doivent être affectés à des buts d’utilité publique. Une loi d’application est nécessaire.
Dès lors, le secteur doit être encadré. Mais la manière est-elle la bonne? Même le parlement en doute. En 2017, ses deux chambres ne se sont mises d’accord qu’après plus d’une année de débats et une conférence de conciliation. C’est finalement le modèle le plus controversé qui l’a emporté: le blocage pur et simple des sites de jeu étrangers et la transmission exclusive de ce marché aux casinos.
Pourquoi ce choix absolu? «Les casinos se sont imposés», a répondu très directement Simonetta Sommaruga lorsque la question lui a été posée au parlement. Le lobbying a de fait porté ses fruits et les maisons de jeu peuvent avoir le sourire: si le oui l’emporte, elles les seraient seules maîtres à bord dans le domaine du jeu en ligne suisse. Pourtant rien ne justifie un tel privilège. Le système éprouvé d’octroi de licences à tout opérateur se pliant aux règles en vigueur dans le pays, comme il est notamment pratiqué au Danemark, donne d’excellents résultats.
«Les entreprises qui proposent des jeux d’argent en ligne à l’étranger ne contribuent en rien au bien commun», dit le Conseil fédéral. Les maisons de jeu indigènes sont-elles toutefois si vertueuses qu’elles méritent ce marché pour elles toutes seules? Leur argumentaire de campagne permet d’en douter: alors qu’un non renverrait au statu quo, les partisans du projet de loi placardent pêle-mêle que, «par manque d’argent», concerts, parcs animaliers, sentiers de randonnée ou encore camps sportifs pourraient disparaître. C’est un raccourci simpliste, voire mensonger.
La loi sur les jeux d’argent sous sa forme actuelle doit être refusée et renvoyée aux parlementaires. Une mise en oeuvre plus équilibrée est possible, sans verrouillage arbitraire du web, ni monopole injustifié des maisons de jeu.
Sous sa forme actuelle, la loi sur les jeux d’argent doit être refusée et renvoyée aux parlementaires