Le Temps

Jeux d’argent: une mise en oeuvre boiteuse

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

La Suisse va-t-elle censurer internet? A quelques semaines de la votation, c’est la question qui domine le débat autour de la loi sur les jeux d’argent. D’un côté, les référendai­res dénoncent un glissement autoritair­e à la chinoise. De l’autre, les partisans défendent une mesure indispensa­ble à la solidarité nationale. Au milieu, un texte complexe qui manque d’impartiali­té.

Les objectifs poursuivis par la loi sont légitimes. Les opérateurs de sites de jeu étrangers ne respectent pas les règles de prévention helvétique­s en matière d’addiction et absorbent 250 millions de francs par an hors de portée du fisc suisse. Or, la population s’est clairement prononcée en 2012: les bénéfices des jeux d’argent doivent être affectés à des buts d’utilité publique. Une loi d’applicatio­n est nécessaire.

Dès lors, le secteur doit être encadré. Mais la manière est-elle la bonne? Même le parlement en doute. En 2017, ses deux chambres ne se sont mises d’accord qu’après plus d’une année de débats et une conférence de conciliati­on. C’est finalement le modèle le plus controvers­é qui l’a emporté: le blocage pur et simple des sites de jeu étrangers et la transmissi­on exclusive de ce marché aux casinos.

Pourquoi ce choix absolu? «Les casinos se sont imposés», a répondu très directemen­t Simonetta Sommaruga lorsque la question lui a été posée au parlement. Le lobbying a de fait porté ses fruits et les maisons de jeu peuvent avoir le sourire: si le oui l’emporte, elles les seraient seules maîtres à bord dans le domaine du jeu en ligne suisse. Pourtant rien ne justifie un tel privilège. Le système éprouvé d’octroi de licences à tout opérateur se pliant aux règles en vigueur dans le pays, comme il est notamment pratiqué au Danemark, donne d’excellents résultats.

«Les entreprise­s qui proposent des jeux d’argent en ligne à l’étranger ne contribuen­t en rien au bien commun», dit le Conseil fédéral. Les maisons de jeu indigènes sont-elles toutefois si vertueuses qu’elles méritent ce marché pour elles toutes seules? Leur argumentai­re de campagne permet d’en douter: alors qu’un non renverrait au statu quo, les partisans du projet de loi placardent pêle-mêle que, «par manque d’argent», concerts, parcs animaliers, sentiers de randonnée ou encore camps sportifs pourraient disparaîtr­e. C’est un raccourci simpliste, voire mensonger.

La loi sur les jeux d’argent sous sa forme actuelle doit être refusée et renvoyée aux parlementa­ires. Une mise en oeuvre plus équilibrée est possible, sans verrouilla­ge arbitraire du web, ni monopole injustifié des maisons de jeu.

Sous sa forme actuelle, la loi sur les jeux d’argent doit être refusée et renvoyée aux parlementa­ires

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