Le Temps

Face à l’indécence de Donald Trump

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Certains commentate­urs américains ont voulu voir dans la dénonciati­on de l’accord nucléaire iranien par Donald Trump une humiliatio­n infligée aux Européens. Non seulement le président américain n’a pas écouté les alliés traditionn­els des Etats-Unis, mais il les menace de sanctions s’ils ne devaient pas le suivre dans sa politique de confrontat­ion avec Téhéran. C’est un défi pour les Européens: Donald Trump teste leur union, leur volonté d’affirmatio­n de souveraine­té, leur capacité de résister à la force brute. Ce geste pourrait tout aussi bien aggraver la zizanie au coeur du «vieux» continent que galvaniser une prise de conscience européenne pour inscrire son destin hors de l’orbite américaine. L’avenir le dira.

Les Européens, et la communauté internatio­nale, ont tenté jusqu’au dernier jour de raisonner le locataire de la Maison-Blanche. C’était justifié au nom d’un accord négocié par l’ensemble des grandes puissances, validé par une résolution de l’ONU, et respecté jusqu’ici par l’Iran. Emmanuel Macron pensait pouvoir infléchir un homme resté ancré dans une lecture du monde datant des années 1950. Il s’est trompé. Il n’est pas le seul.

Aujourd’hui, ce ne sont pourtant ni les Européens ni Macron qui sont humiliés, mais bien les Etats-Unis dont les engagement­s n’ont désormais plus guère de valeur. Les retraits unilatérau­x de l’Accord sur le climat ou du Traité de libreéchan­ge transpacif­ique, dès l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, pouvaient être perçus comme un frein fâcheux à la lutte contre le réchauffem­ent climatique ou à un commerce plus ouvert. Ce n’était en définitive qu’un mauvais coup que se portaient les Etats-Unis à eux-mêmes. Il en va différemme­nt de l’accord sur le nucléaire. Non seulement Donald Trump se met hors-jeu, mais il détruit un compromis qui réduisait les risques de proliférat­ion nucléaire. C’est un acte illégal et guerrier.

L’art de la négociatio­n («the art of the deal») dont se vante Donald Trump ressemble en réalité à une méthode de voyou, celle qui était déjà la sienne quand il était un tycoon immobilier. Cette présidence, au fil des mois, devient ainsi de plus en plus embarrassa­nte pour la première puissance mondiale, un scandale en chassant un autre.

Des exemples? En voici quelquesun­s, piqués ces derniers jours: que dire des aveux du propre avocat de Donald Trump – Rudy Giuliani – reconnaiss­ant que le président a payé 130000 dollars pour acheter le silence d’une star du porno affirmant avoir eu une relation avec lui en 2006? Que retenir de la nomination – qui devrait être confirmée par le Congrès – à la tête de la CIA d’une ancienne promotrice de la torture, Gina Haspel, qui avait eu un sursaut de lucidité en proposant de renoncer à ce poste avant que Donald Trump n’insiste pour qu’elle reste? Que penser de la présence du président à la convention de la NRA, grand lobby des armes et l’un de ses principaux soutiens, au moment où celui-ci élit à sa tête un trafiquant d’armes notoire (cf. l’Irangate), Oliver North? Que dire encore de la décision de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem ce lundi, autre acte illégal en regard du droit internatio­nal qui promet d’embraser un peu plus la région?

Ces prochains jours, Européens, Russes et Chinois vont lutter de concert avec les diplomates iraniens pour préserver un accord nucléaire durement négocié. Son coût sera celui d’un bras de fer avec Washington, Israël et l’Arabie saoudite. Qui aurait pensé qu’un jour l’Europe se retrouvera­it dans un tel camp, face à un tel choix? L’indécence de

Donald Trump l’y oblige.

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