Fromond et les antispécistes
Deux jack russel espiègles, une poule suisse au plumage d’un blanc immaculé, un âne, des chevaux et quelques chèvres, tout un monde à poils et à plumes, avec ses maîtres, s’en est allé aux sons de la fanfare fêter saint Fromond, ce vendredi, le long de la paresseuse Vendline. C’est un saint sans papiers, clandestin; un saint peu canonique. Depuis mille ans on vient du Sundgau, en Haute-Alsace, comme de Franche-Comté, le célébrer dans ce petit coin de pays.
Fromond est un ermite du VIIe siècle, disciple de Colomban, dont la spécialité, en plus de soulager les croyants dans leurs petits malheurs, est de «bousculer les lois naturelles pour remettre sur pieds des moutons vérolés ou des chiens enragés», refusant de diviser les êtres entre espèces inférieures et supérieures. Ingratitude des temps, dans la procession de ce vendredi nul antispéciste, activiste de la libération animale, vitupérateur de McDonald’s ou caillasseur de boucheries genevoises. Pourtant, nous dit le facétieux Pierre-Olivier Walzer dans sa Vie des saints du Jura1, «Fromond devait être de l’avis du fameux rabbin Maimonides qui attribuait aux animaux une espèce de franc arbitre et ne doutait point, par conséquent, qu’il y eût pour eux aussi un paradis». On ne sait pas jusqu’à quel point Fromond distinguait une âme particulière chez les animaux. Ce qui est certain, c’est que depuis des générations les paysans du cru le vénèrent comme le premier saint antispéciste.
Découvrant Fromond à travers Walzer, le poète errant JeanClaude Pirotte eut l’envie de venir vivre ses dernières années à deux pas de la source de l’ermite.2 Pour retrouver «la paix/immense comme un ciel où/les nuages figurent les monts/et le bleu les étangs qui font/écho aux songes de Fromond»; avec à sa fenêtre, «un pan d’éternité/trois chevaux en liberté/qui sont là depuis des siècles». Comme Fromond qui «s’avance à la rencontre/de l’ours grognant de souffrance», le poète, l’écrivain facétieux et les pèlerins, du Sundgau comme de l’Elsgau, nous rappellent que la transformation de notre rapport aux animaux est un long chemin entamé depuis des siècles. Mais interrompu par le productivisme et l’exploitation industrielle. Contrairement aux activistes, intransigeants juges et moralisateurs autosatisfaits de nos comportements carnivores, la religion populaire et poétique célébrée ce vendredi dans la vallée de la Vendline nous renvoie à une seule question, plus modeste: «Est-il dans le plan de la Création que l’homme soit le dominateur et le prédateur insolent du monde vivant?»
Avec la libération animale élevée au rang de lutte sans concession, les ultras, comme 269Life Libération Animale, déboulent sur le terrain politique. Ils contraignent chacun à des réponses qui ne soient pas une simple dénonciation des actions illégales et agressives, occupations d’abattoirs, perturbations dans les fastfoods, etc. Car en soulignant les dysfonctionnements de la société, la cause animale interroge notre conception de l’humanisme. Elle nous contraint à redéfinir nos valeurs d’empathie et d’altruisme.
«Protège nos agneaux de l’affilée, nos veaux de la dartre laiteuse, nos ânes de la mélide… nos pigeons de la pépie. Et nous de tout le reste», conclut la délicieuse prière de Pierre-Olivier Walzer à saint Fromond.
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1. L’Age d’homme, 1979
2. Ajoie, NRF Poésie/ Gallimard, 2018