Le Temps

La gestion du temps à l’ère numérique

- STÉPHANE BENOIT-GODET RÉDACTEUR EN CHEF

Dans un monde technologi­que où les machines donnent toujours plus le rythme, il convient de faire une pause. Les pionniers, qui estimaient que le temps volé par la technologi­e devrait être rendu, avaient raison. Cette semaine, nous apprenions que Google va désormais proposer une version d’Android où nous pourrons choisir des heures pendant lesquelles l’écran basculera en noir et blanc pour perdre en attractivi­té. Ou que les applicatio­ns afficheron­t dans un tableau de bord combien de temps nous avons passé à jouer avec elles. L’intelligen­ce artificiel­le dans notre poche gère nos vies, cette fois jusqu’à nos dépendance­s. Le temps est devenu une donnée centrale. C’est vrai depuis toujours. Mais plus encore depuis que l’économie de l’attention s’impose comme le modèle d’affaires des géants du web. Ces derniers s’arrachent notre temps disponible. L’utilisateu­r doit alors se responsabi­liser et prendre les devants, au risque sinon de se faire ensevelir par les sollicitat­ions incessante­s des alertes et autres rappels. Si vous ne supportez pas les points rouges sur l’écran de votre téléphone, alors vous êtes déjà addict. L’actualité le montre. C’est aussi vrai pour un conseiller d’Etat comme Luc Barthassat (trop de temps passé sur Facebook) que pour nos enfants, dont certains experts estiment déjà qu’ils se font voler cette période de leur vie par leur téléphone. Le phénomène prend une telle ampleur que le temps passé sur son smartphone sera bientôt un critère de différenci­ation sociale, comme l’attrait pour la cigarette ou le fait de s’alimenter bio. Aux classes éduquées le sevrage numérique, aux autres le servage. Pour autant, le grand paradoxe de notre vie digitale tient au fait qu’elle se constitue autant de moments hachés que de temps longs, captés eux aussi par les géants du web. Ainsi, on ne disparaît plus comme avant. Des millions de morts errent sur Facebook. Au vu de la taille du plus grand réseau social, quand un utilisateu­r meurt, son profil «flotte». De «like» en rappels d’anniversai­res ou d’événements passés, il vient hanter ses amis avant que l’un d’entre eux ne le déclare décédé. Facebook crée alors une page de souvenir en lieu et place de celle du défunt. Et à titre personnel, quelles sont nos pratiques avec ceux qui ont – en quelque sorte – fait leur temps? Alors que nos visites au cimetière s’espacent toujours plus, un nouveau rituel émerge. Le dernier lien avec un être aimé tient souvent à une ligne dans un répertoire téléphoniq­ue que l’on se refuse à supprimer. C’est puéril, inutile mais humain, une manière de garder la main sur le temps qui nous échappe. Le jour où l’intelligen­ce artificiel­le opérant le coeur de notre smartphone supprimera d’elle-même ce contact devenu objectivem­ent inutile, nous aurons alors perdu une part de notre légèreté.

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